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Myriam Marc Chapitre I - Appendre à mourir Chapitre II - Errances Chapitre III - Mourir, une fois de plus Chapitre IV - Plus froid que la mort Chapitre V - Les forces souterraines Chapitre VI - Les tunnels du souvenir Chapitre VII - Tout est à commencer

Chapitre VI - Les tunnels du souvenir

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Régression

 

Je me suis assise sur la chaise qui m’était proposée. Oh, ce n’était pas la première fois, j’en avais vécu des événements, ici, avec la voix du médecin qui m’accompagnait…

 

Tu avances dans un sous-bois… Et tu peux voir autour de toi… Les arbres… Les feuilles des arbres qui se balancent… Et tu avances… Le soleil danse à travers les branches… Et tu avances… Il vient caresser ton visage… tu peux le sentir… La chaleur du soleil sur ton visage…

 

La lumière d’automne est douce. Je ne sais pourquoi j’ai imaginé ce sous-bois en automne… Les feuilles jaunes et marron jonchent le sol, la terre est humide, la lumière du soleil est comme une caresse qui dessine un monde couleur sépia.

 

Tu avances jusqu’à… une clairière… Un vaste espace dégagé… Que tu explores… Prends le temps de l’explorer… Regarde autour de toi… Il y a un tunnel… Juste là... Tu avances vers le tunnel… Tu as le temps d’observer… L’entrée du tunnel…

 

Le tunnel, c’est l’endroit où toutes les épreuves que j’ai déjà traversées sont inscrites, comme autant de livres dont je n’ai pas connaissance mais qui me définissent. Je sais, pour y être déjà entrée, que plusieurs portes s’ouvrent sur les parois du tunnel et que derrière chaque porte se cache un souvenir enfoui.

 

Et tu entres dans le tunnel…

 

J’avance dans le tunnel de ma mémoire. Si je suis là aujourd’hui, c’est qu’une partie de moi a besoin d’y entrer. Le sol est humide et il fait froid. Ce n’est pas un endroit où l’on aimerait s’attarder, mais je dois y rester. Je ne sais pas quelles épreuves m’attendent encore dans ce tunnel ni combien de temps je devrai l’explorer. J’avance au son de la voix qui me guide, qui interroge : « Que vois-tu sur les parois ? Décris-moi les parois… »

Je scrute l’obscurité… J’avance prudemment… Le lieu est insalubre et je ne sais ce que je vais y découvrir… C’est un jeu dangereux, à la fois angoissant et excitant, j’ai peur de me perdre, j’ai peur, car je pénètre le lieu où la vie et la mort se rencontrent, je le sais intuitivement.

Il s’agit de ma vie.

Il s’agit de ma mort.

Ai-je le choix ?

Je sais que non. Je sais que, si je n’avance pas, la mort me rattrapera. Le passé me tuera si je ne fais pas un pas vers l’avenir. Il faut juste avancer, se débarrasser des meurtrissures du passé.

 

Quelque chose semble émerger de l’obscurité, là, à gauche, sur la paroi... De la chair se dessine, ou plutôt l’intérieur des chairs, comme un assemblage d’organes… Si je peux toucher ? Je peux. J’approche un doigt… Je sens… C’est chaud et palpitant. Ce lieu m’attire… Est-ce que je veux y entrer ? Je n’ai pas peur d’y entrer. Je franchis le pas.

 

Je suis bien. Calme et détendue. Je baigne dans une béatitude liquide. Il fait chaud et bon. J’essaie maladroitement de me recroqueviller dans cet espace, mais mon corps est trop grand. C’est un lieu que j’aime. Un monde liquide, un monde sourd… un monde qui n’appartient qu’à moi. J’y macère, j’y mijote… Je suis bien.

 

J’entends des voix. L’une d’elles dit : « Le bébé a le cordon autour du cou, la nourriture ne passe plus. Il faut provoquer l’accouchement ! »

 

Je ne sais pas ce que ça veut dire.

 

Quelque chose ne va pas.

Mon ventre me fait mal. Ça se tord à l’intérieur. Ça fait si mal !

Est-ce qu’elle le sait ? Je scrute. J’écoute. Je suis tendue vers l’extérieur.

J’ai mal.

J’ai peur.

Est-ce que je vais mourir ?

Ça devient insupportable, cette douleur, insupportable… J’ai peur ! Je suis en train de mourir, et l’attente dure… Je vis dans la permanence de la douleur, je ne suis que sensations douloureuses et attente angoissée...

 

Puis, dans ce monde liquide, ce monde qui m'appartient, un bouleversement se produit, un renversement de mon être vers le bas… Je tombe, je tombe et je crie que je tombe, car ma tête, qui était en haut, se retrouve en bas, je tombe dans le vide et je crois mourir à nouveau…

J’ai peur, j’ai si peur et la lumière… La lumière me fait mal, et je n’entends plus le bruit assourdissant mais rassurant, le bruit des battements de son cœur, je ne les entends plus, son corps ne fait plus de bruit et j’ai froid tout à coup, l’air est si froid et la vie aussi, la vie que j’ai eu peur de perdre mais qui est si froide...

 

Un cri… J’aspire quelque chose qui me fait mal, ça pénètre mes poumons, et c’est comme un cri que je ne peux pas pousser, ça s’engouffre en moi et j’ai la tête qui tourne, et il n’y a plus autour de moi ce corps chaud et rassurant... Me voilà seule, à vif… Où est la chaleur, où est mon royaume, mon bien-être parfait ? Je veux retrouver mon bonheur liquide et mon univers de sensations, je ne veux pas le monde froid et effrayant des lumières…

 

J’ai la tête qui tourne.

J’ai mal au ventre.

Je la vois.

Je ris.

C’est maman !

 

J’ai toujours mal au ventre, mais je sais que, désormais, j’aurai à manger. Ma bouche se referme sur quelque chose de rond et de doux, elle s’emplit de chaud, mon ventre accueille le liquide.

 

J’ai la tête qui tourne.

J’ai mal.

J’ai froid.

 

Pour la première fois de ma vie, je respire.

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