Under the Rain

Lonely in the Dark

Texte 1 : The Dark Side of the World

  • Noir… Tout est noir, je ne vois rien, je ne sens plus rien… Des bruits confus flottent autour de moi, je n’arrive pas à bouger… Que se passe-t-il ? Je ne me souviens plus, rien, le vide total… Où suis-je ? Qu’ai-je fait ? Je ne sais pas. Tout défile devant moi, comme un film… Tout ce que j’ai vécu jusqu’ici mais il manque ce passage, pas moyen de me souvenir…

Je suis né un certain hiver, en décembre, le jour de noël. Quel cadeau ! J’étais pas voulu, non, j’étais arrivé comme ça sans que mes parents ne me souhaitent… Je ne me souviens pas de mes trois premières années de vie, juste que j’étais comme un fantôme dans la maison, on ne faisait pas attention à moi, ma mère me donnait juste à manger, lorsqu’elle n’oubliait pas, et on me laissait me débrouiller, un rare bain de temps en temps peut-être. Je trouvais ça normal, je n’avais pas connu autre chose, comment pouvais-je penser qu’ils ne se comportaient pas correctement avec moi ? Puis vint le jour où, pour la première fois, on m’a envoyé à l’école maternelle. Et là j’ai appris, j’ai observé, j’ai commencé à comprendre en voyant les autres avec leurs parents attentionnés, je me suis douté que quelque chose n’allait pas, bien que je fusse encore trop jeune pour raisonner correctement. Ma mère oubliait souvent de venir me chercher à la sortie, je devais attendre, des heures parfois, avant de la voir débarquer comme si de rien n’était, comme si son oubli était tout à fait normal. Pendant quatre ans le scénario s’est répété, répété, répété sans vouloir s’arrêter, puis ma sœur est arrivée, elle non plus n’était pas désirée. Diagnostiquée autiste très tôt, enfermée dans son monde, et mes parents qui ne s’en occupaient pas. À sept ans je devais m’occuper de moi et de ma sœur, me débrouiller seul. Ma mère ne rentrait quasiment pas, ou très tard le soir, j’ai appris par la suite qu’elle passait ses journées dans des bars et ses soirées dans des bordels. Mon père lui, ne rentrait que vers dix-neuf ou vingt heures, il ne semblait même pas nous connaître, il nous regardait de haut sans jamais nous témoigner la moindre touche d’affection, nous parler un peu, ne serait-ce que pour nous dire bonjour. À peine de retour, il se vautrait devant la télévision et n’en décrochait pas avant au moins minuit. Nous, on n’ y avait pas le droit, à la télé, d’après lui on était trop stupides pour pouvoir la regarder.
- La journée, pendant que j’étais à l’école, j’enfermais ma sœur dans une pièce sans risques, où elle, autiste, pourrait se déplacer en sûreté. Le soir, en rentrant, j’allais la voir et m’occupais d’elle. Elle arborait toujours un regard triste, un peu comme les épagneuls bretons, je voulais qu’elle l’abandonne, je ne voulais plus la voir me fixer ainsi, l’air perdue, seule, attristée. Mais je ne pouvais pas faire grand chose. Le temps passait et, même si ce n’était qu’un peu, son autisme s’atténuait, résultat de mes efforts ? Je n’en savais rien, elle prononçait quelques mots et commençait à sortir de son monde intérieur, progressivement. Ce changement me réjouissait, peut-être pourrait-elle être heureuse un jour ? Mais rien n’était moins sûr… Comment être satisfait d’une vie pareille ?
- Un jour de janvier, alors que la neige tombait, ballottée par les rafales de vent, je l’ai trouvé. Maigre et affamé, au milieu du trottoir. Je l’ai emmitouflé dans mon manteau et l’ai ramené à la maison. Je l’ai mis dans ma chambre, devant ma sœur qui faisait de grands yeux ronds, ne semblant pas vraiment comprendre ce que c’était. La petite bête blanche miaula avant d’aller se blottir sur ses genoux, ronronnant tel un moteur de voiture. Ma petite sœur avait d’abord affiché un air surpris, puis avait commencé à le caresser, mouvement machinal allant de la tête à l’arrière-train du chaton. . Je les ai laissés là, au milieu de la pièce, l’une assise avec l’autre sur ses genoux au comble du bonheur, enfin, c’est ce que je pensais.
- Le chaton, j’avais voulu l’appeler Snow, je trouvais ça plutôt classe et puis c’était l’occasion de me servir du peu de vocabulaire que j’avais appris en anglais. Mais, chaque fois que je l’appelais ainsi, ma sœur tirait une drôle de tête, apparemment mécontente du nom… Du peu de mots qu’elle connaissait, qu’elle avait retenu, du peu qu’elle parlait, elle me fit comprendre que May serait désormais le prénom de la boule de poils blanche. Je trouvais ce nom affreux mais pour une fois qu’elle était contente et arborait un micro sourire, je ne voulus pas la contredire. Depuis l’arrivée de May à la maison, ma sœur se portait de mieux en mieux, émergeant chaque jour un peu plus de son autisme. Puis, alors qu’elle commençait à pouvoir se débrouiller à peu près seule, enfin, ayant moins besoin d’être surveillée sans cesse, un soir d’été, il ne resta du chat plus qu’un cadavre gisant au milieu de la route, un camion était passé alors qu’il traversait et lui avait pris la vie. Il suffit parfois d’un rien pour briser le fil qui nous maintient en ce monde. Cette mort eut de fortes répercussions sur l’état de ma sœur, son autisme reprit le dessus et son monde se referma, l’emprisonnant à nouveau derrière des barreaux invisibles. Son regard était à nouveau vide et je ne pouvais plus la laisser seule comme avant, tout recommençait, comme s’il ne s’était rien passé, comme si May n’avait jamais existé. Et moi, malgré ça, je continuais à vivre comme je le devais, le collège la journée, et m’occuper de ma sœur le reste du temps. Pas de sorties avec les amis, je pouvais pas, non, je pouvais pas la laisser seule à la maison le soir… Impossible !
- Le temps passait, du collège j’arrivais au lycée, je ne rentrais que peu, m’étant finalement résolu à laisser ma petite sœur seule, quelques soirs, pendant que moi j’allais traîner dans la ville passant de bar en bar avec d’autres dont certains que je ne connaissais même pas. Je buvais, de plus en plus, sans pouvoir m’arrêter. Pourquoi ? Je me suis souvent posé la question, pour oublier peut-être, pour effacer la vie de merde que je menais, ne plus penser à l’irresponsabilité de mes parents et à leurs conneries, au malheur de ma petite sœur, pour échapper à la réalité… Le peu d’argent que je gardais de côté y passait, bouteille par bouteille.
- Puis je me suis mis à fumer, un pote m’en a proposé une et j’ai accepté, j’ai trouvé ça dégueulasse, pourtant j’ai continué, sans savoir pourquoi, pour faire comme eux ? Comme les autres ? Pour les imiter ? Pour me sentir plus libre alors que j’étais à présent prisonnier de la drogue ? De simples cigarettes c’est passé à de drôles de mélanges d’herbe et d’on ne sait quoi, j’ignorais ce que je fumais réellement mais je m’en fichais. Sans m’en rendre compte, je devenais comme mes parents, comme la plupart des gens de la planète, un gamin paumé qui n’a trouvé que l’alcool et la drogue pour passer le temps. Délaissant ma sœur, rentrant de plus en plus tard, parfois à six heures du matin, ne faisant plus attention au reste. Mes résultats scolaires ont chuté, j’ai redoublé, mais je m’en fichais, j’en avais rien à faire, c’était pas important. Un soir, alors que je rentrais chez moi, il devait être aux environs de deux heures du matin, j’étais un peu ivre et ne faisais plus attention à grand-chose. J’ai pas regardé, j’ai pas fait gaffe, j’ai traversé et elle est arrivée, cette voiture grise, je sais pas si elle a essayé de freiner, je pense que oui, peu importe de toute façon elle m’a percuté. Ça a fait un énorme choc, j’ai pas tout de suite compris ce qui m’arrivait, je me suis retrouvé au milieu de la route, étalé, sentant mon sang se déverser…

Et voilà, maintenant j’en suis là, baignant dans ce liquide rougeâtre. Le type à qui appartient la voiture est en train de m’engueuler parce que j’ai abîmé sa carrosserie, et moi j’agonise, là, au milieu de la route, mais ça, tout le monde s’en fout. Moi aussi d’ailleurs, après tout je pourrais peut-être échapper à cette vie en mourant ? Une sirène retentit, une camionnette blanche déboule dans l’allée, des hommes en sortent, écartent celui qui conduisait la bagnole et s’avancent vers moi. Ils parlent entre eux, je comprends pas, trop sonné par le choc, puis ils me soulèvent doucement afin de m’embarquer. Incapable de parler, je les supplie mentalement de me laisser là, de m’abandonner à la mort, de la laisser m’empêtrer dans son filet noir, mais ils ont déjà fermé la porte, le moteur démarre et le véhicule quitte la rue. Je sens ma tête tourner de plus en plus jusqu’à sombrer dans l’inconscience. Je me réveille la nuit, dans une grande pièce tapissée de blanc, au milieu d’un lit aux draps blancs, tout est blanc, j’ai l’impression d’être dans un cauchemar. Mon ventre me fait mal, mes côtes aussi, mon corps entier me fait mal. Je tourne difficilement la tête sur la droite avant de la remettre dans sa position initiale. La vie ne vaut pas le coup d’être vécue, la mort n’a pourtant pas voulu de moi tout à l’heure. Non, c’étaient eux, ces hommes en blanc, eux qui m’avaient arraché à ses griffes pour me maintenir dans ce monde pourri. Je tends difficilement la main vers les fils qui me maintiennent en vie et, dans un dernier effort, les débranche, m’abandonnant à mon sort, un dernier souffle… c’est fini…
-« Allez mort, emporte-moi dans tes bras maléfiques, emmène-moi avec toi »