Après la déception de Moorea (par rapport à Raïvavae, s’entend), nous débarquons sous le soleil de Huahine. Tout de suite, ça va mieux : l’île semble plus sauvage, un petit aéroport, des chauffeurs de taxi sympas… Nous retrouvons un peu l’ambiance des îles Australes. Nous arrivons dans une charmante chambre juste en bord de mer, avec moustiquaire sur le lit, petit balcon surplombant le lagon (à marée haute seulement)… Il n’y a pas de climatisation, bien sûr, on commence à s’habituer, mais pas de ventilateur non plus… Nous passons outre (d’ailleurs on n’a pas vraiment le choix), séduits par la déco de la chambre, de style… disons « corsaire », c’est-à-dire anarchique, avec des bouts de bois brut un peu partout, un mélange de bois, de pandanus et de palme de cocotier. Et une pointe de la « chaleur » tahitienne incarnée par des phallus taillés aux extrémités des bouts de bois, çà et là…
Huahine est en fait constituée de deux îles très proches qui partagent le même lagon : Huahine Nui et Huahine Iti. Elles sont jointes par un pont sur le lagon (ce qui est assez exceptionnel en Polynésie !). L’aéroport et le village le plus important, Fare, sont implantés sur Huahine Nui, au nord. Notre pension, elle, est située exactement à l’opposé, au sud de Huahine Iti. C’est le coin le plus sauvage, mais aussi là où il y a les plus belles plages…
Le lendemain matin, nous avons réservé un tour de Huahine Iti. Nous partons le matin sous un soleil timide. Le lagon est turquoise, limpide. Il n’est pas truffé de « patates » comme celui de Tubuaï et Jérémy, le guide qui pilote le bateau, se fait un plaisir de pousser son moteur. Nous survolons la surface de l’eau, passant en un clin d’oeil du bleu profond au bleu turquoise, puis à une eau presque invisible quand il n’y a plus qu’un mètre de fond. Les dénivelés rapides du lagon expliquent ces changements : il y a les zones profondes, 30 à 60 mètres, qui font le bleu profond, puis les zones peu profondes, moins de 15 mètres qui donnent différentes teintes de bleu turquoise. Le bateau fait soudain un dérapage : Jérémy nous montre une raie armée (il a l’oeil, même en fixant la direction qu’il nous indique, nous mettons une bonne minute avant de localiser la bête). Ces raies portent un dard vénéneux sur la queue, elles peuvent être dangereuses ! Le bateau repart, puis, quelques minutes plus tard, nouveau dérapage : cette fois c’est une raie léopard qui plane entre deux eaux, battant harmonieusement des ailes comme un oiseau… Un peu plus loin nous arrivons sur un îlot rocheux, pas un motu, un îlot au milieu du lagon, vestige du cratère volcanique d’origine. Bien que le temps commence à se couvrir, le guide nous propose une sortie avec masque et tuba pour observer les coraux et les poissons. Nous sautons à l’eau avec les premières gouttes de pluie. Il n’y a pas beaucoup de lumière mais le spectacle est tout de même intéressant : nous louvoyons entre les massifs coralliens, découvrant des perroquets, des bénitiers, des aiguillettes, des chirurgiens et des caporaux (ce sont tous des poissons, bien sûr !). Avec la pluie, l’eau se trouble en surface, sur quelques centimètres au début, puis jusqu’à presque un mètre. Au retour sur le bateau, mauvaise nouvelle : la pluie semble s’installer et Jérémy nous laisse le choix entre continuer sous la pluie ou rentrer (mais il insiste quand même pour rentrer, il paraît qu’on n’y voit rien sous la pluie et qu’il n’est pas facile de diriger un bateau quand on n’y voit rien…). Nous écourtons donc la balade pour rentrer à la pension.
Effectivement, toute cette première journée reste très sombre, avec de courtes averses assez fréquentes. Nous en profitons pour faire une bonne sieste : les bungalows en bord de mer c’est sympa, mais la nuit, quand les vaguelettes du lagon déferlent juste sous le lit, on ne dort pas très bien… Surtout quand il n’y a pas de ventilateur ! En fin d’après midi, nous allons traîner nos claquettes le long de la plage. C’est dimanche, tout le monde est de sortie, nous disons bonjour, on nous répond d’un sourire et d’un hochement de tête, c’est cool. Deux chiens nous adoptent le temps d’une balade (ils ne nous ont rien demandé…) : ils nous suivent jusqu’à la pointe voisine, puis, au retour, nous abandonnent chacun leur tour quand nous repassons devant chez eux. Il ne fait pas trop chaud, il fait moite. Le ciel est gris, plombé. Mais le lagon reste bleu, à l’horizon. Près de la plage il est d’huile, comme un miroir ondulant très faiblement. Nous voyons Raiatea se détacher sur l’horizon, c’est l’île sacrée de Polynésie, d’où sont parties toutes les migrations vers les autres îles, le centre mystique et social des maoris (ici ça s’écrit « maohi ») du Pacifique Sud. Avant la colonisation, elle avait été détrônée par Tahiti, plus grande, sur laquelle s’était établie la dynastie des Pomare, mais elle a gardé toute sa place dans le coeur des Tahitiens et dans leurs croyances.
Pour la journée suivante, nous devions louer une voiture… Pendant la nuit, le temps est devenu vraiment lourd. Les draps sont humides, nos serviettes et nos habits de bain ne sèchent pas… Nous nous faisions un plaisir de la journée dans une voiture climatisée, nous avions même prévu d’y mettre le linge à sécher… Mais il était dit que nous devions passer une journée de plus sur la bande de sable qui court devant la pension : après nous avoir fait patienter jusqu’à midi, l’hôtesse de la réception nous avoue qu’il n’y a plus de voiture. Le patron de la pension, avec toute la nonchalance qui régit les relations commerciales en Polynésie, a autorisé un autre client à prendre la voiture que nous avions réservée ! Nous sommes furieux, mais après tout on est en vacances… Nous nous traînons donc à pieds jusqu’à un marae proche (trois kilomètres) [1]. Encore pas de chance : nous arrivons dans un chantier, avec pelleteuse à l’oeuvre. Le lagon grignote la plage et l’édifice menaçait de s’effondrer, nous explique le gars qui supervise le réempierrage… Qu’à cela ne tienne, nous décidons de rentrer par la plage. En chemin, terrassés par la lourdeur de l’atmosphère, nous nous affalons sur le sable pour une petite sieste et pour observer la danse des crabes qui logent dans les cavités rocheuses du bord de mer. Heureusement, il y a trop de nuages pour que le soleil ne nous brûle. Mais quelle chape de plomb ! Ce n’est pas qu’il fasse chaud, non, ce n’est pas cela, mais l’air est trop humide, trop immobile, on ne peut plus respirer… Chaque pas est fatiguant… Sur le chemin du retour, nous devons passer devant une des nombreuses propriétés de Gaston Flosse, qui a régné de nombreuses années sur la Polynésie Française. C’est un des rares endroits où il n’y a plus de plage : un quai de pierre vient jusque dans le lagon… La loi littoral ? Connaît pas ! Prenant notre courage à deux mains et les claquettes aux pieds, nous ignorons les panneaux « Attention chien méchant », « Entrée interdite », « Tabu » (un « Achtung ! » n’aurait pas dépareillé…) et passons, les pieds dans l’eau, au pied des parois de pierres noires, dans notre bon droit mais tout de même inquiets, nous attendant à tout moment à voir surgir un molosse au sommet du quai…
Éreintés, nous atteignons tout de même la pension avant la tombée de la nuit… et surtout avant le déluge. Tout ce poids qui s’est accumulé dans le ciel tombe enfin. Des trombes d’eau ! Et du vent, des éclairs, un tonnerre puissant qui se réfléchit sur la surface de l’eau et les montagnes qui grimpent juste derrière la pension. Il fait d’un coup plus frais, et moins lourd. Et nos affaires recommencent à sécher… Mais pour ce qui est de dormir… Ce ne sont plus de petites vaguelettes qui déferlent sous le lit, mais de bonnes vagues de cinquante centimètres, ça fait un vacarme pas possible ! Au loin on entend un grondement sourd : ce sont les vagues du large, grossies par le vent, qui déferlent sur la barrière de corail. Un petit air de fin du monde…
Mais le lendemain, le jour où nous devons partir, quel temps ! Magnifique. Le ciel est nettoyé, le lagon aussi : il est d’une limpidité extrême. Heureusement, notre avion n’est qu’en milieu d’après-midi, nous avons le temps de refaire le tour en bateau qui avait été annulé la première journée. Nous pouvons donc faire le tour de l’île, visiter une ferme perlière, plonger dans le lagon (et nous écorcher les jambes sur les coraux [2]), voir le cucuro de Hiro [3] et re-plonger dans le lagon en nous laissant porter au dessus des coraux et des colonies de poissons par un léger courant. Quelle extase, ce sentiment de planer au-dessus de toutes ces merveilles, sans même avoir à bouger une palme ! Ça, pour un dernier jour…
Un cauchemar croyez-vous, ces deux jours de temps moite et gris ? Non… Pas vraiment… Une initiation plutôt. À la langueur. Huahine est une île langoureuse. Ce temps, c’était ce qu’il nous fallait pour compléter notre aperçu de la Polynésie. Oh, oui, nous avons souffert, mais doucement tout de même. Nous avons été essoufflés, nous avons dormi dans des draps humides… Oui, oui… Mais regardez ces photos, même sous un ciel gris, c’est tout de même beau, non ?
Huahine est une île belle et sauvage. À l’opposé de beaucoup de ses cousines, elle a vu le nombre d’hôtels qu’elle héberge diminuer ces dernières années. L’un d’eux, le Hana Iti, a été dévasté par un cyclone. C’était un hôtel surprenant, paraît-il : tous les bungalows étaient construits au sommet des grands arbres qui foisonnent sur l’île, devant une magnifique plage, inaccessible par la route. Comme ces arbres poussent très rapidement, il fallait réajuster les bungalows tous les deux ou trois ans ! En 1998 un cyclone s’est abattu sur Huahine et a tout ravagé. Depuis, il ne reste que la plage magnifique et les ruines de la cuisine, seul bâtiment qui avait été construit en dur. Un peu plus tard, le film « Le prince du Pacifique » a été tourné sur le même site, pour ceux qui se souviendraient de ce film… Il a, en tout cas, marqué les habitants de l’île qui ont été engagés en masse pour figurer dedans !
Si Raïvavae était l’île mystérieuse, mystique, un joyau du coeur, je nommerai donc Huahine la Princesse du Pacifique… Elle danserait à demi nue sur les eaux calmes de son lagon, au son du toere [4].