Nous venons de finir un voyage qui a brûlé des tonnes de carburant. Les avions d’abord, qui nous ont permis de boucler le tour de la planète en trois mois et demi. Mais aussi les voitures que nous avons louées dans chaque pays pour nos déplacements quotidiens. D’un point de vue écologique, ce n’est pas bien du tout ! Alors… Nostra Culpa.
Il peut paraître un peu facile, ayant fini le voyage, de simplement écrire un article pour se dédouaner du tort causé à la planète. Oui, effectivement. Nous avions décidé de faire ce voyage parce que nous en avions les moyens, à ce moment précis, et parce que nous pensions qu’il ne sera bientôt plus possible de le faire : le coût des voyages en avion risque de bientôt augmenter dans des proportions qui en feront un luxe inaccessible au commun des mortels. Quand nous sommes partis, nous avions déjà pleinement conscience des problèmes que pose le dérèglement climatique à l’humanité entière. Cependant, je crois que ce voyage a aussi contribué à nous faire prendre conscience de l’imminence de la catastrophe et du gaspillage effréné de ressources dans lequel vivent les pays industrialisés.
Dans les voyages en avion, il n’y a pas que la consommation de carburant qui soit critiquable. Ce type de voyage est globalement violent. Pour la planète, et pour l’être humain. Il y a d’abord la débauche d’énergie mise en œuvre pour arracher l’appareil du sol et le maintenir en vol. Tout vibre, le corps subit les accélérations et la pressurisation, il y a du bruit. Les bébés le sentent bien : beaucoup pleurent du début à la fin. Et puis il y a le fait de décoller d’un endroit, avec son fuseau horaire et son climat, pour se retrouver quelques heures plus tard sous un ciel, une heure, une ambiance, totalement différents. Ce sont des chocs psychologiques et physiologiques qu’on met chaque fois plusieurs jours à digérer. Les décalages horaires nous ont pesé au début du voyage, mais, à partir de New York, je crois que nos corps ont jeté l’éponge : depuis lors nous vivons dans un espace-temps diffus, sans repère temporel stable. Il nous faudra probablement plusieurs mois pour reprendre un rythme de vie régulier.
De mon côté, il y a aussi l’échéance de la reprise des études qui me pousse à m’intéresser de plus en plus aux problèmes énergétiques, puisque c’est dans ce domaine que je me propose de travailler maintenant. Depuis notre retour, je lis une abondance d’ouvrages sur le défi qui se pose maintenant à l’humanité : continuer de vivre sur une planète limitée en termes d’espace et de ressources. Il est temps, en effet, que j’intègre mes idées dans la réalité de ma vie quotidienne. Il est temps, donc, que j’adopte une hygiène de vie qui pourrait être pérenne vis-à-vis de la planète. Nous devons tous, maintenant, chercher comment concilier nos habitudes de vie avec les impératifs de décroissance qui s’imposent. Moi plus que d’autres puisque je veux travailler dans ce domaine.
Au cours du voyage, nous avons pu constater que la tâche est rude pour ramener l’humanité dans des habitudes de consommation conciliables avec les besoins de la planète. L’Australie et la Nouvelle-Zélande vivent en permanence dans une débauche d’énergie qu’il faudra bien calmer un jour : imposer une limitation des recours à la climatisation, investir dans l’isolation thermique les bâtiments, imposer des critères d’efficacité énergétique aux véhicules, et simplement adopter des attitudes plus économes en ne laissant pas les lumières allumées ou les portes ouvertes. La tâche est immense, car ces pays, jeunes et libéraux, ne semblent pas promouvoir une conscience écologique comme celle, minimale, qui se propage en Europe. Il faut dire que les problèmes sont peut-être moins prégnants là-bas puisque la densité de population y est beaucoup plus faible qu’en Europe. En Polynésie, le problème est autre mais revient au même : certes, le mode de vie polynésien n’est pas très consommateur en énergie, mais l’approvisionnement énergétique est entièrement basé sur la combustion de fioul importé par bateau. Certaines îles ne disposent d’un réseau de distribution électrique que depuis quelques années, et bientôt, quand le prix du pétrole atteindra des niveaux prohibitifs, elles devront probablement s’en passer. Et il ne sera alors même plus question de revenir aux groupes électrogènes individuels qui étaient utilisés auparavant. Pour ces îles, il est urgent de penser à atteindre une indépendance énergétique en utilisant les énergies renouvelables. Les alizés sont des vents fiables, et l’ensoleillement est important sous ces latitudes, l’utilisation d’éoliennes et de capteurs solaires est donc un début de solution. Mais ce sont aussi des îles qui pourraient avoir des ressources géothermiques et l’on pourrait envisager d’utiliser les forts courants qui emplissent et vident régulièrement les lagons pour produire une énergie constante. Partout, donc, il y a des progrès à faire, et j’espère, à l’issue de mes études, pouvoir y participer.
Pour en revenir aux voyages, nous envisageons maintenant, pour nos prochains déplacements, de voir si nous pouvons utiliser le bateau plutôt que l’avion. Il me semble en effet urgent de développer de nouveaux moyens de déplacement. Il serait dommage, me semble-t-il, que l’augmentation du prix du pétrole et les impératifs écologiques aboutissent à une diminution des moyens de déplacement disponibles au commun des mortels. Les voyages sont une ouverture, ils permettent de prendre conscience des différents modes de vie de l’humanité et de mesurer l’étroitesse de notre planète. Ils nous permettent également de mesurer sa beauté, de s’en imprégner et d’en récolter les bienfaits. Personnellement, la perspective de ne plus pouvoir voyager m’est très désagréable, je la ressens comme un enfermement, voire un étouffement. Habitude de riche occidental, probablement. Mais je ne peux m’empêcher de penser que cette habitude-là n’est pas négative et qu’on gagnerait à la répandre. Donc, pour notre prochain voyage, nous envisagerons la solution du bateau, nous adopterons ainsi, dès maintenant, des habitudes de voyage durables.