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Marion

Avant propos

« Il y avait dans la brume blanche et dans l'ambulance blanche l'ombre noire de Guillaume qui regardait dehors, et dans la brume blanche sur le trottoir gris l'ombre noire de Marion qui fixait Guillaume. Comme l'ambulance allait entrer dans l'hôpital Marion fit lentement tourner la longue perche et un grand drapeau se déroula. Juste pour le déplier un coup de vent déboula du fond de la rue et tout le monde put voir le pavillon des pirates flotter dans le blanc cotonneux. Quand l'ambulance fut entrée la brume s'épaissit et on ne vit plus rien.

La guerre venait de commencer. »

 

 

L’entrée dans la forêt.

Guillaume marcha droit sur la forêt.

Il n'y avait pas de passage apparent, il en creusa un avec son corps parmi le sous bois. Un peu plus à l'intérieur, cela s'éclaircit et bientôt on put cheminer sans problème entre les troncs d'arbres. Guillaume s'arrêta alors et regarda autour de lui, derrière d'abord. Il y avait la vague lueur d'un feu mourant et l'aube à peine plus lumineuse. Il vit aussi Marion se lever et regarder vers la forêt, mais elle ne le voyait pas. Il appartenait déjà à la forêt. Entre eux il y avait maintenant un épais rideau. Marion était dans la lumière, dans le monde absolu de la vérité, elle ne pouvait voir l'intérieur de la forêt trop sombre. Guillaume quant à lui s'était glissé dans le monde un peu brumeux de la forêt et il laissait dehors la lumineuse Marion. Elle apparaissait là-bas, éclatante et déjà irréelle, derrière les troncs irréguliers, elle apparaissait par morceaux, toujours à moitié cachée par les arbres.

Guillaume se tourna vers la forêt, vers le centre. Il y avait des arbres à perte de vue. D'ailleurs on ne voyait pas très loin, peut être cinquante mètres, une masse vert sombre. Les troncs étaient énormes, ils prenaient racine dans l'herbe de la terre et se perdaient dans l'herbe du feuillage. Guillaume avançait au hasard entre les arbres. Il suivait une direction, loin devant, il ne savait pas exactement où mais ne s'inquiétait pas. Il ne doutait pas d'arriver quelque part.

Et il y alla.

 

Au soir il avait vu beaucoup de choses. La forêt n'avait pas vraiment changé de visage. Elle était plus humide peut-être mais il y avait les mêmes gros arbres et la mousse à leurs pieds. Dans la journée Guillaume avait remarqué des rivières, des clairières, des collines, des fossés, et même, vers le milieu de l'après-midi, un large espace de forêt calcinée, toute noire. Le sol était encore chaud. Quand on déplaçait la cendre des fumées brûlantes s'échappaient du sol. Des arbres il ne restait que d'énormes colonnes noires...

Quand la nuit tomba sur la forêt, tout changea. Alors que dans la journée les arbres semblaient accueillants ils se firent menaçants avec la nuit. Guillaume marchait maintenant d'un pas prudent. Il inspectait sans cesse les alentours, écarquillant les yeux au maximum pour distinguer les ombres qui se glissaient entre les arbres. Il sursautait fréquemment à tel ou tel bruit inhabituel et fini par penser, avec quelques regrets, au repos, à un lit et aux bras de Marion. Alors que toute la journée il s'était félicité de son geste, se voyant sur une voie claire et joyeuse, il commençait à douter. Il lui semblait bien absurde de s'enfoncer dans une forêt, sans but. Peut-être demain sortirait-il de l'autre coté, tout penaud, juste assez fatigué pour se laisser cueillir par les pandores. Que cherchait-il après tout ? Pourquoi cette forêt serait-elle différente des autres ? N'est-elle pas limitée par sa lisière comme les autres ? Guillaume s'assit enfin sur une grosse pierre plate et moussue. La tête entre les mains il resta prisonnier de ses pensées trop vivantes. Qu'avait-il à opposer à la raison, mis à part une intime conviction ?

Guillaume resta immobile jusque vers le milieu de la nuit, enfermé dans ses pensées. Il n'entendit pas le silence arriver et l'entourer. Il ne vit pas les arbres se pencher vers la pâle lueur qui émanait de son corps, il ne sentit pas leur interrogation muette et leur protection souveraine. Une branche tomba près de la pierre pour lui faire un dossier, un loup vint se coucher à ses pieds, admirateur du penseur. Alors que le calme était enfin tombé sur la forêt, Guillaume imaginait le plus sombre des avenirs. Il appelait Marion, il implorait sa tranquille rationalité et jura de fuir à jamais ses propres rêves de mythomane. Un mythomane, il l'admettait seulement maintenant, dans la forêt. Un pauvre fou, égaré dans la vie.

Il résolut de dormir un peu, puis de sortir de la forêt, demain à l'aube. Il retournerait au village traversé l'avant-veille avec Marion, il était alors plein de fougue et d'espoir. Il y reviendrait seul et désespéré. Marion serait déjà rentrée chez elle, sûre de ne jamais le revoir. Il ouvrit les yeux, regarda la forêt autour de lui et en fut apaisé. Il se laissa glisser sur le coté, son dos vint s'appuyer sur une branche tombée là bien à propos...

 

Guillaume fit un rêve d'ombres et de lumières.

Il descendait un escalier sombre, dans un étroit boyau de pierre. Derrière lui la lumière paraissait encore, mais de plus en plus étroite. Les marches et les murs de pierres luisantes reflétaient cette pâle lueur tout autour de la source, la porte qu'il avait franchie tout là haut. Guillaume descendait solennellement, comme attiré par l'obscur inconnu. Alors qu'il n'arrivait presque plus à distinguer les marches, il se retourna pour voir l'étroite entrée, si haute maintenant. Il la fixa quelques instants mais une ombre s'étendit d'un coup sur la lumière qui s'affaiblit puis disparu complètement. Il y eut un grand bruit, comme si une pierre énorme était venue obstruer l'entrée. Guillaume se trouva subitement plongé dans l'obscurité totale. Il voulut faire marche arrière mais il glissa sur les pierres humides et, au lieu de remonter, dégringola sur plusieurs mètres en se cognant aux marches et aux murs. Il n'y voyait plus rien. Un peu étourdi, il s'assit contre le mur et essaya de se calmer. Il ferma les yeux pour mieux imaginer la lumière.

Dans son rêve Guillaume resta très longtemps prostré dans le tunnel. Il voyait le temps s'écouler autour de lui sans l'atteindre. Il se sentait plongé dans une immobilité parfaite, hors du temps. Seule sa conscience vivait et lui indiquait qu'au-dehors les saisons passaient comme à l'habitude. Il était difficile de compter les jours ou les mois ou les années. Guillaume avait seulement conscience que tout autour de lui le monde changeait, vivait et vieillissait. Il se voyait lui-même prisonnier dans un repli du temps, comme dans une bulle transparente qui le soustrayait à son action. Bien que encore assis dans le tunnel sombre, il sentait tout autour de lui l'incompréhensible agitation du monde. Avec bien plus d'acuité que jamais auparavant il saisissait l'univers dans son ensemble, vivant comme un organisme unique, se compliquant à l'infini comme l'écume sur le sable, pour ensuite redevenir simple, plat, lisse. Il voyait la Terre emportée dans ce tourbillon immense. Il la vit se former vivre et mourir. Et il la quitta. Il se vit dans l'espace, contemplant sans y prendre part le ballet muet de l'univers. Comme il venait d'imaginer le mot "muet", il entendit une gigantesque musique. Une musique avec plusieurs milliards de voix, mais pourtant ordonnée, harmonieuse et mouvante, insaisissable. Puis, comme s'il s'en était allé trop loin, il fut saisi de peur. Il sentit de nouveau le temps déraper sur lui et l'emmener dans sa course folle. Il sentit ses poumons se gonfler et cela le brûla. Sans qu'il s'en aperçoive la conscience revint dans son corps. Il se souvint du tunnel et de ses blessures rêvées, il ne pensa plus qu'à cela et oublia tout le reste. Il ne voyait plus ni l'univers ni même la terre, il ne sentait que la douleur dans son corps.

Il se redressa sur les marches poisseuses en regrettant déjà sa vision. Puis, comme il s'apprêtait à remonter les marches à tâtons, il entendit des pas derrière lui. Il se retourna et vit sur la droite un boyau faiblement éclairé. Ce n'était qu'une lueur mais ses yeux habitués à l'obscurité en firent une lumière magnifique. Il descendit quelques marches. A droite un second escalier s'élevait et à son sommet une porte était ouverte, inondant les marches de la lumière du jour. Guillaume cligna un peu des yeux puis regarda. Par la porte ouverte, une jeune femme s'engagea dans l'escalier. Elle était vêtue de voiles flottants et portait une torche à bout de bras. Guillaume n'osait plus bougé, il la regarda descendre.

 

Guillaume se réveilla dans le bois, sur la pierre plate. Il faisait déjà jour. Il se leva, s'étira et marcha. Il chercha le chemin du retour comme il l'avait décidé la veille.

Du rêve de la nuit il ne lui restait que quelques impressions. Il ne se souvenait plus de l'histoire complète. Il avait le sentiment d'avoir entrevu une image de lumière et d'espoir au milieu de son cauchemar mais il ne pouvait s'en souvenir. Cela lui donnait un peu envie de reprendre sa quête vers le milieu de la forêt. Mais l'impression était si vague qu'elle paraissait sans importance comparée aux réflexions conscientes de la veille. S'enfoncer dans la forêt c'était risquer de perdre totalement le chemin du retour et se retrouver le soir au même point, sans issue. Guillaume pensait que cet acharnement était inutile : s'il avait continué ce n'aurait été que pour confirmer son égarement.

Marchant sur le chemin du retour, Guillaume essaya de raisonner son cœur lourd.

Il marcha sans encombres jusque vers le milieu de la journée, suivant sans hésitation le chemin qu'il avait pris pour venir. Mais au début de l'après-midi la forêt devint de plus en plus touffue, l'obligeant à de fréquents détours. C'était une bataille incessante contre les arbustes et les fougères qu'il fallait desserrer où contourner pour continuer le chemin. Après un court instant Guillaume fut totalement perdu dans ce chaos. Se rappelant les premiers instants passés dans la forêt, il pensa qu'il allait bientôt atteindre la lisière.

Avec acharnement il se battit pendant de longues heures contre la forêt qui semblait se mouvoir pour l'empêcher d'avancer. Rageur, il foulait les herbes hautes et cassait les arbustes. La forêt, toujours plus astucieuse, mettait alors un ruisseau, un ravin ou une falaise devant lui... Et il fallait rebrousser chemin, contourner l'obstacle et essayer de continuer. Aveuglé par sa colère il ne se souvenait plus de la direction qu'il devait suivre. Il voulait seulement passer de l'autre coté de cette "brousse", imaginant que là-derrière il trouverait une belle plaine verte, immense, dégagée et inondée de soleil.

La nuit tomba sans prévenir. Guillaume marcha quelque temps encore, écartant ses pas des broussailles pour se reposer. Il était accablé à l'idée de passer une nouvelle nuit dans la forêt. Les yeux grands ouverts pour distinguer le chemin, il avançait péniblement. Comme dans un rêve il vit apparaître devant lui une grosse pierre plate. Il s'assit et, comme la veille, s'absorba dans ses pensées. Il pensa au rêve de la veille et en vit la lumière. Mais aussitôt après il ouvrit les yeux et se retrouva dans la forêt sombre au même point que la veille. Il se leva, gesticula, donna un coup de pied dans la pierre et se fit mal. La douleur calma son esprit, il se rassit. Le silence tomba... Dans le silence un long champ résonnait. Guillaume ne bougea plus, il essaya de retenir sa respiration. Il y avait un chant, un beau chant à plusieurs voix qui rappelait la musique de son rêve.

Prit d'une allégresse inopinée dans sa situation, Guillaume courut vers les voix. Un peu plus loin la forêt se dégagea complètement, il n'y avait plus que de grands arbres rectilignes et fins, bien espacés. Au sol il y avait une épaisse couche de feuilles jaunes, et entre les arbres, au loin, il y avait une lueur. Un grand feu brûlait là-bas. Il apparaissait de plus en plus gros, projetant sur les feuilles jaunes de longues bandes de lumière. Autour du feu il y avait une petite troupe d'hommes et de femmes, une quinzaine tout au plus. S'approchant encore, Guillaume put voir qu'ils étaient habillés de grands voiles flottants. Quelques-uns chantaient, d'autres étaient assis et discutaient par petits groupes, d'autres encore dansaient autour du feu. Parmi les danseurs Guillaume reconnu la fille de son rêve, elle portait encore la torche à bout de bras.

Un peu effrayé, Guillaume se cacha derrière un arbre pour mieux observer. Après quelques minutes seulement, ils se regroupèrent tous et parlèrent un moment ensembles. Guillaume était trop loin pour distinguer des mots et il le regretta. Puis tout le monde se sépara et, comme par magie, une table fut montée, des chaises amenées, la table fut couverte de feuillages, des bols et des verres furent posés. Quand se fut fait - Guillaume se demandait bien d'où ils avaient sortit tout ça ! - le calme revint dans la clairière. Ils s'assirent à la table en silence. Guillaume se penchait derrière son tronc pour mieux voir, mais il n'y avait rien à voir.

Il sentit une présence derrière lui, une chaleur. Il se retourna vivement et vit, à trente centimètres de son visage, une fille si belle qu'il en resta figé. Elle parla calmement, comme pour bien se faire comprendre : « Nous t'attendons pour commencer la fête car nous voulons manger et boire à ton entrée dans la forêt ! » Puis elle le prit par la main et le mena dans la lumière. En marchant derrière elle Guillaume reconnu la fille de son rêve. Il en fut rassuré car elle portait la lumière.

Ce soir là Guillaume but des breuvages étranges, et vit des choses étranges. Il refit le rêve de la veille et le comprit. Il comprit la forêt et le difficile chemin qu'il avait parcouru pour y entrer.

Il comprit tout même l'amour.

Il en fut satisfait et resta dans la forêt.

 

 

La femme noire.

Je suis resté longtemps dans la forêt.

Je l’ai visitée, je m’y suis baladé tout simplement.

Il m’a été donné d’y faire beaucoup de rencontres et d’y voir des choses étranges. Je me souviens, plus précisément, de la dernière rencontre, non parce qu’elle est la dernière, mais parce qu’elle est la plus importante.

 

Je vivais alors dans une baraque en bois, dans une clairière à peine plus grande qu’elle. Il régnait au-dedans un désordre calme et chaotique, soigneusement entretenu et augmenté au cours de mon séjour prolongé. Un matin une fille essoufflée vînt se réfugier sous mon toit, Sous lequel je n’étais d’ailleurs moi-même qu’un étranger, mais n’ayant vu personne je m’étais approprié le lieu. Elle ne me vit pas de suite en rentrant, ni pendant un certain temps, il faut bien le dire. J’étais assis dans un coin, dans l’ombre, je rêvais.

Quand elle est entrée, je l’ai vu apparaître dans la lumière du matin, je l’ai trouvé belle. Je me suis tu pour continuer à la regarder en paix... et je ne me suis pas montré pour ne pas lui faire peur. Elle a du croire que la maison était vide. Elle a d’abord prit une chaise pour se reposer. Elle a eu du mal parce qu’elle était inquiète. Elle a commencé par regarder tout autour sans un bruit, comme une étrangère, comme quelqu’un dans une salle d’attente. Un peu rassurée par le silence, elle s’est ensuite levée pour inspecter plus précisément les lieux. Elle a commencé par la cuisine, elle a ouvert tous les placards. Je l’ai regardé pendant toute l’opération. Ce fût long malgré, ou peut-être à cause, de la simplicité de l’ameublement. Après l’inspection je me souviens qu’elle a vraiment eut l’air soulagée. Elle s’est rassit un moment, le sourire aux lèvres, puis elle s’est préparé à manger.

Je me suis levé quand ce fut prêt, elle venait de s’asseoir. Elle n’a pas eu peur. Un petit recul quand même, quand elle a réalisé que j’étais un ermite vivant ici. Elle avait une façon d’être froide qui empêchait de lui en vouloir... une sorte de magnifique l’entourait, elle et ses paroles. Elle a fini son repas devant moi, sans me proposer une bouchée, il est vrai que j’étais chez moi.

Après ça elle a voulu partir. Moi je ne voulais pas. Je voulais qu’elle reste. Je voulais l’emmener dans la forêt. Je voulais lui faire découvrir ce qui m’avait émerveillé depuis que j’étais entré. En fait j’étais amoureux, je contractais l’amour égoïste. J’avais besoin de sa présence car je n’étais habitué qu’à celle des arbres.

 

Dans l’entrée de cette baraque qui nous abritait, il y avait deux armes, posées contre le mur, sur un rebord qui le balafrait à un mètre du sol. J’étais devant la porte, le dos vers l’extérieur. Elle était assise sur le sol devant moi. Il y avait une petite carabine marron et blanche, elle avait l’air neuve, elle était très belle, fastueuse... clinquante tout à fait. A coté, à gauche, c’était un vieux fusil, plus long, plus effilé. Au contraire de la première arme il était sombre, presque tout à fait noir. Le temps était passé dessus, laissant les angles patinés et l’ensemble écorché.

Je ne voulais pas qu’elle parte. J’ai pris la carabine blanche et je l’ai pointée sur elle. Je lui ai dis que je l’aimais, qu’elle était forcée de m’aimer aussi. A cause de la blancheur de l’arme je pensais que c’était juste. Je ne lui voulais pas de mal, je voulais seulement qu’elle reste. Je n’ai pas tiré... Elle est partie tout de même. Les armes les plus assassines sont celles qui se parent de blanc. Je m’en suis rendu compte trop tard. J’ai jeté la carabine blanche et ai gardé le vieux fusil.

 

Je me suis, à partir de cette rencontre, dirigé vers la sortie de la forêt. J’ai d’abord trouvé un sentier. Je n’en avais pas vu un depuis mon entrée dans la forêt. J’étais très étonné, et fou de joie.

 

 

Le chemin du retour.

En fait je me suis rendu compte que depuis un certain temps je m’étais beaucoup rapproché de la lisière de la forêt.

Quand je suis arrivé au soleil je me suis assis, j’ai fait un feu et j’ai attendu Marion.

Il y avait un chemin devant moi mais je n’osais le prendre seul.