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Morgane

« C'était une petite fille brune, secrète, et la plupart du temps sage. On la voyait, ombre dans l'ombre de ses parents, se promener dans le monde avec un détachement de tous les instants. Quand, attiré par son regard vert et sa chevelure ébouriffée, on s'intéressait trop à sa personne elle baissait les yeux, fermait la bouche et sortait de sa poche une carte sur laquelle était écrit en grosses lettres "N'insistez pas, je suis timide...". Ainsi armée d'une timidité pas tout à fait authentique et d'un admirable don pour se débrouiller toute seule elle vivait sa vie de rêves... »

 

Malgré son jeune âge, Morgane se promenait seule sur les dunes. Elle avait laissé au village voisin sa famille endormie et, par la fenêtre, elle était venue jusque sur la plage. La lune éclairait le sable et la mer de sa lumière blanche et douce. Morgane était une fille rêveuse, un peu plus qu'une enfant mais pas tout à fait une femme. Elle aimait par-dessus tout se promener sous la pleine lune. Elles parlaient souvent ensembles quand personne ne pouvait les entendre, quand pas une lumière artificielle ne venait atténuer le sens de la lumière lunaire. La lune parle avec sa lumière, son visage lumineux en est la preuve. Elle forme ses phrases par des jeux d'ombre sur le sable, sur les arbres... Pour avoir une vraie conversation avec elle il faut se déplacer : en restant immobile on ne voit que quelques mots, tout au plus quelques phrases. Morgane savait cela depuis longtemps déjà, elle ne comprenait pas bien encore pourquoi les adultes, qui voulaient l'attirer lentement dans leur monde, ne parlaient jamais à la lune. Elle ne voulait plus vieillir, elle se sentait déjà trop vieille. Elle avait peur de perdre, elle aussi, ses précieuses conversations, peur de pouvoir dormir alors qu'au-dehors... La bataille allait être rude, les adultes ont des armes redoutables, comme la psychologie et les asiles. Et toutes les lois qui rendent anormaux les gens qui parlent à la lune. Peut-être indiquera-t-elle ce soir le chemin à suivre, la lune, il suffit d'être bien attentive, Morgane.

Sur la plage immense les phrases s'enroulaient dans le sable et filaient sur l'océan. Elles racontaient la journée passée, les corps ruisselants étalés au soleil et les pensées mesquines ruminées par un millier d'esprits trop étroits. Des histoires d'impôts, d'argent et de lois. Des histoires de bombes, de soldats et de villes. Morgane suivait cette folle épopée avec ses yeux d'enfant. Elle lisait, lisait tout ce que la lune voulait bien lui conter. Elle montait sur les dunes pour mieux percevoir les mots inscrits dans le sable mouvementé. Elle comprenait tout en se rappelant la plage surpeuplée sous le soleil muet. Elle entendait les bruits de la journée passée qui avait chargé l'air de toutes ces conversations muettes. Elle eut envie de courir pour en savoir plus, pour pénétrer toujours plus profondément dans les secrets de la lune. Elle courut sans se soucier de la distance, elle courut le long de la plage pour comprendre le monde. Doucement un nuage vint glisser devant la lune.

Abandonnée par la diseuse d'histoire Morgane s'assit dans le sable. Elle attendait que le nuage s'en aille. Un peu essoufflée, elle s'étendit de tout son long sur le flanc des dunes. Elle ferma ses yeux si doux et écouta battre son cœur. Mais en plus du boum-boum régulier de sa vie, elle entendit un boum-ti-boum qui venait de derrière les dunes. Reposée, et puisque la lune ne reparaissait pas, Morgane escalada la dune pour aller voir ce que c'était.

D'en haut on voyait une grande maison avec beaucoup de fenêtres, de grandes baies donnant sur le sable. A l'intérieur il y avait une foule de gens et de lumières qui bougeaient au rythme du boum-ti-boum. On avait l'air de bien s'amuser là-dedans et Morgane eut envie de s'approcher. Elle s'approcha. Sans se cacher, elle marcha lentement jusqu'aux grandes baies. Elle regarda un instant tout ce monde occupé à s'amuser et sourit du spectacle, amusée elle-même. Les boum-ti-boums s'atténuèrent puis cessèrent. Une musique plus douce se fit entendre et plusieurs personnes sortirent. En entendant les voix arriver Morgane ne bougea pas car c'était une fille pure et courageuse.

Quand elle se sentit en danger, Morgane regarda la lune à travers les nuages, puis la mer et les dunes. Elle ouvrit la bouche et un chant du fond des âges empli l'air. Suffoqués, les hommes s'écartèrent. Avec elle la terre, les arbres, l'air et le feu chantaient. La lune resta silencieuse.