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Myriam Marc Chapitre I - Appendre à mourir Chapitre II - Errances Chapitre III - Mourir, une fois de plus Chapitre IV - Plus froid que la mort Chapitre V - Les forces souterraines Chapitre VI - Les tunnels du souvenir Chapitre VII - Tout est à commencer

Chapitre VI - Les tunnels du souvenir

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Bye bye bush

 

Le jour où j'ai reçu le signe que j'attendais du peuple aborigène, j'avais déjà renoncé à ce message que j'espérais pourtant depuis que nous avions décidé, mon mari et moi, de partir sur les routes pour prendre un nouveau départ. Ce signe, je l'ai compris très vite, m'a été donné par une femme aborigène qui ne savait peut-être pas elle-même le pourquoi de son geste. Ou alors elle savait exactement ce qui m'était arrivé et ce que je devais faire maintenant. Ce qui, pour moi était sûr, c'est que chaque personne rencontrée par « hasard » dans une journée a un message à nous délivrer. Je n'ai compris ce geste que parce que je l'attendais et que j'en avais besoin pour savoir vers où orienter ma vie. Je le savais bien sûr déjà au fond de moi, mais ce désir inconscient avait du mal à se frayer un chemin vers ma conscience. Si j'avais du mal à l'accepter, ce désir d'enfant, c'est que je venais, à presque 40 ans, de « découvrir », par l'intermédiaire de l'hypnose, le désastre qu'avait été mon enfance, et je ne voulais pas donner la vie, par peur de perpétuer la souffrance. C'est du moins la partie raisonnable de mon être qui avait peur de donner la mort.

 

J'avais lu, durant le début de notre voyage, un article sur les messages que notre subconscient nous adresse au travers des rêves, de nos actes manqués et autres lapsus. Je savais, pour l'avoir personnellement expérimenté, que la partie inconsciente de notre cerveau est à la fois une soupape de sécurité et un réservoir infini de sagesse et de lucidité. Ce que nous voulons vraiment est gravé dans notre subconscient.

 

Je n'aimais pas le bush. Bien qu'ayant ardemment souhaité ce voyage, la chaleur et les mouches m'étaient désagréables, et j'avais hâte de quitter cette partie de l'Australie. Les quelques aborigènes que nous avions croisés étaient peu engageants, et j'avais fini par me résoudre à continuer le voyage sans avoir reçu le précieux message. Après tout, nous allions encore visiter de nombreuses contrées, peut-être mon « signe » me viendrait-il d'un autre endroit.

 

J'avais été aiguillée sur les rails de mon désir en analysant, par jeu, les derniers lapsus que je me souvenais avoir prononcés. Voulant expédier une carte postale en France, j'avais demandé à mon mari si on écrivait « per mail » pour l'envoyer par avion, alors que j'avais vu plusieurs fois l'inscription « Air mail » sur le courrier en provenance de l'étranger. Je ne cessais également de répéter « La mer me manque »... Les « per » et « mer » envahissaient mon langage. Je savais également que tout ressenti qui n'est pas exprimé se transforme en actes ou en symptôme. Depuis mes dernières séances d'hypnose, mon rapport à la nourriture avait changé à tel point que je me sentais comme une ogresse quand j'avais faim, j'avais besoin de « me remplir le ventre »...

 

Réfléchissant à cette symbolique du langage, une phrase me revint en mémoire, que j'avais prononcée récemment, alors que je revivais sous hypnose une épreuve subie à l'âge de trois ans, durant laquelle mon agresseur s'attaquait à moi pour la première fois : j'avais crié plusieurs fois « Pas dans ma bouche, pas dans ma bouche ! »... Maintenant que j'étais dans le bush, mon malaise face à cet endroit se précisait. Il représentait pour moi un lieu souillé, le lieu où mon enfance avait été profanée pour la première fois.

 

Plus tard, à cinq ans, à dix ans et à quinze ans, la mort s'était lentement insinuée en moi, et le sexe était devenu « ce qui donne la mort ». Le premier bébé que j'avais conçu, en pensée, je l'avais tout d'abord cru mort au moment où, me projetant dans l'avenir, durant une séance d'hypnose, je me suis vue tenant dans mes bras un enfant inanimé. Le challenge avait été d'avancer dans le tunnel noir qui représentait mon avenir, de combattre ma peur afin de donner vie à cet être.

 

C'était au mois de juin dernier, et, neuf mois plus tard, en plein coeur de l'été australien, cette femme aborigène croisée lors d'un arrêt à une station service au milieu de nulle part, au coeur du bush, cette femme assise près de la porte du bâtiment, après que je l'eus saluée, tendant le bras gauche vers moi, portait l'index et le majeur de la main droite sur son poignet gauche, à l'endroit où je portais ma montre, tapotant son bras dans un geste que l'on fait pour signifier qu' « il est l'heure ».

 

Cette femme n'a pas prononcé un mot, et il ne m'a fallu que quelques minutes pour comprendre son geste. Quand je suis ressortie du bâtiment, elle avait disparu, mais je savais. J'allais avoir 40 ans : je n'avais plus beaucoup de temps.

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