Chapitre V - Les forces souterraines : La nature | ||
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Lorsque j'arrivai à la plage, il n'y avait là plus qu'une étendue terne, ni blanche, ni jaune, ne sachant plus refléter la lumière du soleil… Où était donc passée la mer ? Qu'avait-elle fait de ses mètres cubes d'eau et d'écume ? Avait-elle été rappelée vers le ciel jusqu'à la prochaine averse, ou bien la terre l'avait-elle absorbée d'un seul coup ? Une chose était sûre en tout cas : la mer avait disparu. Cependant, pas un poisson n'agonisait sur la plage… Où avaient-ils trouvé refuge ? Pas un rocher à l'horizon derrière lequel dissimuler une nageoire, même flétrie, même desséchée, même sans vie… La mer avait-elle été bue par quelque géant assoiffé ou bien avait-elle trouvé une issue ? Était-on venu à son secours pour qu'elle puisse s'évader enfin ? Et quand reviendrait-elle ? Qui la ramènerait ? Et surtout, où la chercher ? J'ai longé le rivage, j'ai scruté l'horizon et longuement, j'ai arpenté la plage… Oh, elle n'était pas partie depuis très longtemps : le sable était encore tout humide, imprégné de cette puissante odeur d'algues, de sel, de silence et de profondeurs… Comme j'aurais voulu m'enfoncer dans le sable, retrouver cette immensité trouble et sourde, suffoquer de bien-être, et ne jamais plus penser à cet autre monde en surface… Je nierais son existence, ignorant le haut et le bas, le feu et la cendre - une immersion totale, brusque et définitive… Mais je l'avais perdue, à trop l'ignorer ou à trop oublier que sa présence était extraordinaire, m'étant habituée à côtoyer le merveilleux, je vivais sans même imaginer que je pourrais la perdre jamais… Non, c'était impensable, je ne pouvais le concevoir… Et pourtant, mes yeux affolés couraient maintenant d'un bout à l'autre de la plage, la panique d'abord, puis l'hébétude s'étaient emparées de moi, et je dus ouvrir et fermer cent fois les yeux, me disant que je rêvais encore, et dans l'incertitude j'avançais à pas prudents, m'attendant à sentir d'un moment à l'autre l'eau me lécher les pieds et ébranler mon corps. Mais ce soir-là, rien n'était venu me secouer, me sortir de mon apathie et de l'état d'hébétude dans lequel cette découverte m'avait plongée… Alors je suis rentrée chez moi, j'ai pris mes palmes et mon tuba, je suis retournée sur la plage à pas lents, et j'ai pleuré et pleuré, longtemps, des heures durant… Mon corps semblait ne plus pouvoir contenir le flot de désespoir qui jaillissait hors de lui comme une source inépuisable. Quand la nuit est arrivée, j'étais ivre de ciel et de sel. J'ai attendu et appelé toute la nuit, j'ai supplié en pleurant qu'elle me revienne. Au matin, elle était là, rayonnante. J'y ai abreuvé mon âme : elle avait un goût de larmes.
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