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Myriam Marc Chapitre I - Appendre à mourir Chapitre II - Errances Chapitre III - Mourir, une fois de plus Chapitre IV - Plus froid que la mort Chapitre V - Les forces souterraines Chapitre VI - Les tunnels du souvenir Chapitre VII - Tout est à commencer

Chapitre IV - Plus froid que la mort

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Sans toi

 

Automne, hiver, printemps… Sans toi les jours n’ont plus de couleur, les saisons sont grises, uniformément…

Du désert à l’Antarctique, le désespoir ne m’a jamais quittée ; j’ai visité toutes les contrées, mais seule ta présence l’a chassé.

Inutile de reprendre la mer, ce n’est que quand j’accosterai tes rives que je serai sauvée. Reviens vite.

 

XXX

 

Rien que des nuages qui passent sur le ciel, et je pense à toi, là- bas, qui les verras peut-être demain - ou même ce soir ? Je voudrais m’y poser pour arriver jusqu’à toi mais ils volent trop haut et je n’ai d’ailes que pour mon âme, alors je la laisse voler vers toi. Mon corps restera ici-bas.

 

XXX

 

Je construis un mur à la gloire du temps qui passe, chaque brique est une seconde qui emplit un peu l’abîme qui nous sépare. J’emprisonne les briques dans le ciment, j’y inscris les mots « je t’aime », et je te dédie ce monument.

 

XXX

 

La lune porte le masque de la mort, ce soir, mais il y a bien longtemps que je n’ai pas vu de chauve-souris. Celle-ci t’apporte une rose dont s’égouttent quelques perles bleues : elles ont coulé de mes yeux.

 

XXX

 

Il m’est difficile de trouver de la continuité dans le temps et l’espace de tes bras quand tu me quittes, au cœur de l’hiver, encore. Mal au cœur et mal au corps, peur de t’aimer mal, de t’aimer trop fort.

Partir pour d’autres cieux et ne trouver nulle part le réconfort de toi. Peur de n’aimer que toi si tu n’es jamais là.

 

XXX

 

Marre d’écrire des poèmes d’amour. Il n’existe plus, n’a jamais existé. Je ne sais si je dois haïr le monde entier ou seulement toi, ou seulement moi…

Je vais rester là, rien que pour toi, et tu n’en sauras rien.

Reprenez tout à la lettre A. Vous aurez toute la panoplie d’un cœur brisé.

 

XXX

Le corbeau noir de la mélancolie s’est posé sur mon crâne. Il n’y a rien de pire qu’un oiseau qui vous picore les yeux du fond du cerveau, aiguise son bec et s’en sert comme d’un couteau. La souffrance existait avant moi, dans d’autres cœurs, pour d’autres âmes, je ne fais que lui donner une nouvelle chance. Mais, puisque c’est universel, un cri devrait retentir en permanence sur le monde, l’humanité entière devrait hurler de douleur quand tu me quittes.

 

XXX

 

Il y a des choses en moi que je ne connais pas. Je ne sais ni d’où je viens ni pourquoi je suis là. La peur est en moi, la lumière seule la chassera. Les ténèbres m’attendent, elles guettent par la porte ouverte. Dans ces moments-là, toutes les portes sont closes entre toi et moi.

 

XXX

 

Appelle-moi à la mort, que je puisse goûter encore à tes lèvres et à ton corps. Je te vois qui déploies tes ailes pour partir déjà. Tu me laisses à la vie, mais elle n’a pas de sens sans toi. La lune a mis son masque livide, tout est si sombre, j’allume la bougie mais ce sont les ténèbres qui se répandent autour de la flamme et je brûle la rétine pour ne pas te voir t’éloigner à jamais. Dans la rue le bûcher est déjà prêt pour moi, je t’invoque une dernière fois avant de monter dans les flammes, mais ce sont des entités noires qui me répondent. Elles disent que tu ne viendras plus, que je dois les suivre et leur offrir mon âme. Mon cœur, lui, reste à toi ; je l’arrache et le tends vers le ciel, tu arrives à temps pour l’attraper, tu l’emportes dans tes serres et, en quelques battements d’ailes, te voilà hors de portée des créatures qui m’ont jetée au feu. Mon amour est à toi, et Lydia Lunch hurle toujours, mais elle ne souffre pas autant que moi qui n’ai plus de voix pour t’appeler. Tu es déjà trop loin…

 

I fell in love with a ghost

 

XXX

 

Il faut toujours garder une feuille blanche pour l’avenir. Celle-ci ne l’est plus, seul l’esprit reste immaculé… Il n’y a plus de pensées pour traduire ce vide que tu viens de combler. Que me reste-t-il s’il n’y a plus de mots ? Il fait toujours trop froid en moi, je ne sais plus que faire pour raviver le feu. Sauras-tu à nouveau combler le vide?

 

XXX

 

Des années de soleil ont passé

La soif s’est installée dans le cœur

Je me suis abreuvée à l’amour

Loin de toi, c’est l’amour qui se meurt

D’orages perdus en orages d’acier

La soif s’est épuisée dans le cœur

Pour laisser place à la nuit, la peur

Oubliées les années de soleil

Ils ont passé les beaux jours d’été

Maintenant c’est l’hiver, long sommeil

Je suis morte quand je t’ai quitté

 

XXX

 

T’attendre le long des heures, arpenter la nuit qui me sépare de toi, comme un corps qui en aurait assez des caresses du temps, pour gravir les échelons du plaisir entre tes bras…

 

XXX

 

À mon vide j'implore d'être un monde plus modeste, pour ne pas devenir folle à l'annonce de ta mort. La dernière image de toi sera celle d'un départ, maudites gares baignées de larmes, déchirements de siamois du cœur… Je ne pourrai plus prendre le train pour nulle part, il n'y aura plus d'endroit où te trouver, que la terre à creuser, mais jamais plus ton corps chaud, jamais plus ta respiration sur mon visage, jamais plus.

S'armer de patience pour endurer ces heures où je dois vivre dans l'absence, comme si la mort avait déjà consommé ton corps, c'est déjà vivre en ne sachant pas encore… Envoie-moi un signe, une étoile filante, un météore, un ange, ne me laisse pas seule sur Terre sans savoir que tu es au ciel, fais-le venir à moi, et avec lui, toi.

Je ne sais s'il est possible de souffrir plus que pour les morts. La petite mort n'est qu'un oubli, une fuite vers l'infini. La mort, elle, n'oublie pas, elle sait garder ceux qu'elle a pris.

Terrible absence, de te savoir peut-être plus loin que je ne le crois, si loin peut-être que plus jamais je ne pourrai t'aimer. Je n'aimerai que vide et mon amour pour toi se muera en un triste ballet de larmes auxquelles ne répondront que des larmes. Flot ininterrompu, amour liquéfié, tandis que les vers rongeront tes yeux, les miens seront noyés. Je ne veux pas que l'on te plonge dans l'obscurité, dans l'humidité de la terre, mon amour, pour ne pas me noyer, j'ai besoin que tu vives. Respire tant que tu peux, la tête te tournera peut-être, mais ce sera notre valse à nous deux, jamais la valse des adieux.

 

XXX

 

J’ai peur de tomber parmi les heures, prise dans les filets du temps, de ne plus pouvoir quitter la vie. Je ne veux plus qu’il y ait de vie en-dehors de nous, le gouffre s’est ouvert et mon cœur va dans le sens contraire, fermé à jamais. Je referme mon cœur qui renferme le tien, et peut-être, à deux, saurons-nous combattre nos misères. Incertitude de renforcer les liens, cela a-t-il un sens de donner de la raison au cœur, de l’empêcher de battre à un rythme autre que le tien, de devoir se suivre toujours, envers et contre tout, malgré le silence, la douleur et le désespoir qui sont miens ? Tout m’importe, en ce jour, si jamais plus je ne dois ouvrir la porte à d’autres que toi. Serons-nous chaque jour au rendez-vous, nous attendrons-nous si par quelque inconstance nous oublions l’heure ? Serons-nous à nouveau unis dans l’ivresse et la danse qui effacent tout ? J’espère que nos forces vaincront les tempêtes du cœur, de l’esprit et du temps. J’ai peur de ne pas supporter le temps. Jeter au feu le livre d’heures et contempler l’autodafé du temps. Mon cœur se déchaîne pour mieux s’enchaîner au tien, le mât de mes désormais piteuses amours, sinon naufrage, noyade dans le temps. Avis de grand frais, force douze… Je parlais de valse du temps, la tête me tourne déjà.

Repartir à zéro est un acte courageux, paraît-il, mais rester toujours à zéro ?

Échec, certainement. Il y a tant d’années que je suis à zéro, il est temps d’apprendre à compter. Zéro plus l’infini me portera bonheur, ou bien un trèfle à quatre feuilles que je garderai contre mon cœur. Deux pour chacun, histoire de se donner une seconde chance en cas de chiffre impair. Trois, ce serait la fin.

Je sais provoquer la douleur, je ne connais pas d’autre façon d’exister. Dans la douleur, tu enfanteras, tout est là. La peur est une douleur permanente, une incurable incertitude. Telle la mer qui roule la vie se charge d’éroder mes convictions. Aimer n’est pas un songe. Il se conjugue au passé, au présent, mais à l’avenir, on peut toujours se tromper. Il n’y a pas de rêves prémonitoires en amour, il n’y a que le journal du jour, qui ira rejoindre ceux qui s’entassent à la cave, mais viens donc, mon amour, allons plutôt tisser notre toile au grenier. Araignée du soir…

 

XXX

 

Retrouver ce lieu, tel un sépulcre inviolé, c'est rencontrer ton fantôme qui hante chaque endroit où mon regard se pose. Je mendie un peu de présence, mais l'amour a démissionné, à mes côtés ce ne sont que vide et absence, et tout cela fait mal dans la profondeur du silence.

 

XXX

 

Je n'ai rien d'autre que le temps qui me traverse le corps, qui s’écoule dans mes veines, qui me coule des yeux ; ces quelques heures, c'est du temps perdu sur la vie, un voyage avorté vers l’infini, l'obscurité qui gagne, lentement. Des ailes, seuls mes rêves en ont. Moi, je reste invariablement au bord du tombeau, égrenant les heures à endurer avant de descendre au caveau… Ou de m'élever, avec toi, vers les étoiles.

 

XXX

 

J'ai tant de fois essayé de suivre le vent, qu'il me porte jusqu'à toi ; je t'imagine à cette heure, si loin, si proche – je peux te toucher en pensée, mes doigts ont gardé en mémoire la douceur, la chaleur de ta peau, je peux aussi te regarder, mes yeux connaissent ta joue reposant sur l'oreiller, tes paupières bordées, brodées de longs cils, tu es un appel à la caresse, à l'amour, à la détresse quand je te sens si loin. C'est comme si mon aura me quittait pour se consacrer à toi. Mais, loin de me rendre vulnérable, ce froid que j'ai de toi, la souffrance, l'absence, tout cela me renforce, c'est de l'énergie en attente d'exutoire que j'utilise pour souffrir et me déchirer à ton souvenir, c'est cette photo sur laquelle tu me tournes le dos pour aller vers la lumière. Moi, je reste de l'autre côté, là où il fait toujours sombre. Je sais que tu sommeilles, à cet instant, et moi – moi, j'ai la feuille de papier qui me colle à la peau, là où je voudrais sentir ton souffle chaud. Le temps déploie ses ailes immenses, déjà il assombrit mes souvenirs, et il prend le départ pour un voyage pénible et, mon dieu, si long !

 

XXX

 

Je suis assise dans le jardin, sous la tonnelle, pour que le soleil ne m'atteigne pas. Le chien gémit, le chat, rayé de soleil, garde les yeux mi-clos comme pour me surveiller. Dans cette presque-quiétude, j'éprouve ma solitude. J'aime sentir ce poison me miner l'esprit, j'aime n'être que cette absence de toi et la force qu'elle me procure.

Je ne cesse de passer en revue tes soupirs, tes regards, je me tourmente au souvenir de la chaleur de ta peau contre mon corps, de la douceur de tes cheveux. Si tu étais assis en face de moi en ce moment, l'image ne serait pas plus nette, seulement je pourrais t'avoir par les mots, par la peau… J'ai l'esprit à vif et le corps suit, il accepte de souffrir pour la morte vive, par amour, par faiblesse ?

 

XXX

 

Un coup d'œil au réveil : onze heures moins le quart. Le pire, quand on se retrouve seul au lit, ce sont les heures du matin. À partir de sept, huit heures, cela dépend de l'heure à laquelle l'autre s'en va. Si l'on peut se rendormir, ça va. L'idéal est de se réveiller à quatorze heures, la soirée approche déjà, on peut commencer à compter. Mais le matin, seul au lit, avec toute la douceur du monde autour de soi, c'est la torture. L'autre s'est arraché à la chaleur, est retourné à la vie grise et froide sous les néons, avec les gens qui parlent et qui travaillent. Et nous voilà sous les draps avec l'envie de faire l'amour, mais plus que soi-même à aimer, quelle déconfiture ! Et l'on n'espère que le soir, le réconfort de ses bras, de son corps, de son poids rassurant pesant sur notre âme.

Le seul lien entre moi et le monde, c'est lui. Si seulement je n’avais pas à m’arracher au lit, péniblement, à vivre sans le vouloir, parce qu'il faudra bien que ces heures passent. Retourner à la chaleur, rêver de toi encore, laisser l'écran de la télévision annihiler l'esprit, dérouler histoires et intrigues à mille lieues de la vie, et me laisser bercer dans l'attente par ce chaos d'images et de sons, oublier le corps qui n'attend que l'amour - le physique, le mental, il faut tout éteindre jusqu'à ce qu'enfin tu reviennes, épuisé comme toujours, pour une nuit trop courte, perdue dans le sommeil.

 

Un matin sans toi…

 

Pas envie de descendre dans la rue, rien à y faire que marcher, esquiver les regards et s'inventer une destination. Trop d'hommes, trop de bruits, trop de vie. Sans toi tout cela n'a pas de sens. Je refuse le monde pour mieux être à toi, je fais chaque jour l'expérience de ce refus. Entre toi et le monde, il n'y avait qu'un pas. C'est un abîme maintenant, que je ne pourrai bientôt plus franchir.

Entre toi et le monde, je n'ai pas eu à choisir. Le monde s'est détourné tout seul, pour te laisser la place là où je t'attends, au cœur du monde et au creux des draps.

Un jour parfait serait un jour avec toi. Et que l'amour soit au rendez-vous. On l'a trop souvent oublié, ne sachant pas comment on aime. Dans notre cécité, c'est la vie qui a pris le pas sur l'amour. Il y a eu tant de faux pas, trop de gestes où l'on se trompait, où l'objet du désir était trop ancré dans la vie, où il n'allait plus au-delà du réel. Et l’on perd l'amour à force de vie, il s'affaiblit, on ouvre des brèches et on s'y engouffre sans s'apercevoir que c'est l'amour que l'on piétine. Perdre du temps à attendre que l'amour trouve sa voie, qu'il se réalise enfin. Bientôt il sera trop tard, déjà il sera mort.

Notre histoire ne sera plus qu'un souvenir qui nous laissera perplexes, désemparés. Sans doute la dépression nous attend-elle au bout du chemin. Elle ne peut être suivie que d'une nouvelle vague ascendante.

 

XXX

 

Dormir pour oublier le jour à venir, le volet qui claque contre le mur et le désir inassouvi. Dormir est un ami fidèle.

Oublier quand le temps n'est pas à l'existence. Exister n'est qu'une partie de mourir, de s'abandonner un peu au néant. M'entends-tu par-delà tes rêves, ton sommeil d'atrophié ? Je déteste tes paupières closes…

 

XXX

 

Me voilà de retour, les meubles m'attendaient, sagement adossés aux murs bleus de ma chambre. Je me suis réveillée dans un songe amoureux. Tu étais là, me réchauffant le corps de ta pâle douceur. Je me suis retournée pour te saisir encore, mais dans l'ombre glacée il n'y avait que mon corps.

Rejetant les draps, j'ai étiré mes membres, dans le prolongement de la nuit ils cherchaient à vaincre leur solitude, la mutilation infligée par ton absence – au creux de ton silence, j'ai enfoui ma chair au plus profond de la terre.

 

XXX

 

Les photos, délaissées pour le réel, retrouvent leur place et trônent à nouveau sur l’autel de ma mémoire. Les miroirs reflètent à nouveau, comme si l’absence aiguisait la vue. J’avais perdu tous mes sens à force de saturer le cœur d’émotions. Les larmes que j’avais gardées au chaud refroidissent déjà le plancher. Trop d’énergie a été libérée que je refoulais pour que le feu ne retombe et ne m’éteigne. Je ne l’attiserai de nouveau qu’au cœur de l’hiver, là où tu seras revenu me réchauffer. Pour l’instant, le froid me glace les os. J’attends que la nuit soit plus froide encore pour sombrer et m’abandonner à un sommeil sans réconfort, sans chaleur, sans toi.

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