Le viol universel
Tu ouvres la porte, et c’est un spectre noir qui te sourit. Le souffle glacé te fait reculer d’un pas, puis de deux. Enfin la porte claque. Déjà tu es retourné à la chaleur de ton foyer. Moi, honteuse d’être moi, d’être si peu, je m’enfuis en courant, ne sachant trop que fuir, peut-être ta chaleur, peut-être le froid qu’il fait ici, à l’extérieur. J'ai dû patauger dans l'eau glacée : tu m'avais jetée au milieu des éléments - corps, bras, têtes, tous malmenés par ta rage - ô monde écœurant de viscères, cette fois-ci je cours devant le vent, il ne me pousse plus. J'entre dans la tempête, je ne te quitte pas, je m'enfonce toujours plus profondément dans l'infernal hiver de tes sens... Ton regard, partout à la fois. Ton regard, en moi. Tu ne sais plus m'échapper, je suis trop bien prise dans tes filets, et je m'y accroche, m'y emmêle, m'y roule... Barbouillée de ton sang, je te souille de mes lèvres avides. J'écorche un cœur sur le pavé, et voici la mort qui traîne sur ton visage. C'est au fil de ta haine que je me pends, et, malgré toi, la mort me tend tes bras... Je vole à ton corps l’extase que tu refuses de m’accorder, je m'enveloppe de toi, et les nuages crient au désastre. Ça fait un vacarme d'enfer, et la mort déchaînée me traîne sur le goudron mouillé. Je sens ce contact -dur, froid et humide - sur ma peau... Corps effondré, le sang s'écoule en longs flots tièdes, le blanc jaunâtre de mes yeux révulsés fait ressortir le rouge de ces petits vaisseaux sanguins. Quelques mètres plus loin, les arbres tremblent au bout de tes mains, je les reconnais à leurs feuilles délavées. Je te saisis par les branches, et tes racines se tordent sous mon poids : tu as mal. Je m'écorche au creux de ta chair et me suicide à toi. Je marche sur tes ruines comme sur du verre brisé, par peur de me faire mal après t'avoir fait tant souffrir. Je peux voir à travers tes interstices comment tu t'es vidé de ta substance vitale. J'ai cru t'aimer au point de te donner ma vie et, finalement, c'est presque de la haine de toi quand je me retourne. Je ronge tes os, j'aspire jusqu'à la moelle de ta vie, et ce n'est pas ton tombeau que je profane, mais ton lit. J'aimerais que tu sois plus fort encore que la douleur, mais tu l'es déjà trop face aux mortels, jamais assez pour le vampire que je suis. Et te voilà comme un jouet cassé, poupée de porcelaine que je prends par les cheveux et frappe contre les murs ; puisque tu ne cries pas encore, je te laisse, sanguinolent, retourner à la poussière... Lentement tu ramasses tes bras, ouvres un œil tuméfié, laisses couler le sang de ta bouche ouverte - j'y vois même quelques dents cassées... Te voilà immobile, mais si tu pouvais trembler encore, tu te tendrais tel un épileptique en crise... Quant à moi, je me sens si monstrueuse, si inhumaine, que je ne vais jamais assez loin dans la violence, dans la torture et la haine... Trop d'humanité, à en crever, à en hurler, à s'en arracher la peau... Je ne sais que faire de cet amour pour toi, alors je te frappe, encore et encore... J'ai trop mal de n'être qu'un fantôme de toi ; pour être plus, il me faut exister par autre chose que par toi, alors je te détruis, mais très lentement car, quand tu ne seras plus là, que serai-je alors ? À cet instant je suis la violence, je suis le tortionnaire, je suis le poing qui frappe, le pied qui t'écrase les doigts... Je suis… Enfin ! J'ai une brique dans l'estomac et un cœur de béton depuis que tu m'as jetée sur le pavé. À présent je rentre en toi, laissant le monde s'horrifier à la vue de ton cadavre. Jamais plus je n'en sortirai, j'y ai trouvé la mort malgré toi. Désormais elle ne me quittera plus. Elle s'est matérialisée... En toi.
| ||
|