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Publication le 1990-03-18 23:43:24

Mis à jour le 2007-01-22 14:46:13

Musique

Einsturzende Neubauten

Concert à Göttingen le 14 septembre 1989

18 mars 1990

Plus que le récit de ce concert d’Einsturzende Neubauten, je me donne la lourde tâche de vous parler – en général – de ce groupe ô combien intéressant, et surtout les souvenirs s’estompent peu à peu et ce qu’il reste de ce concert est malheureusement un peu confus, c’est pourquoi il ne sera que le « prétexte » pour vous parler d’ Einsturzende Neubauten. Mais tout d’abord, pourquoi vous parler d’un groupe que tout le monde (ou presque) connaît maintenant, et dont l’audience s’élargit toujours plus parce qu’ils font une musique plus « écoutable », plus soft qu’avant (la version maxi de « Feurio » est même très dansante !) ? La réponse est que l’on aime bien parler de ce qui nous fait ressentir des émotions, de ce qui nous dérange parfois, nous bouleverse… Bref, de ce qui nous touche en plein cœur (aaargh ! attention l’infarctus !), et, en essayant d’expliquer pourquoi elle me bouleverse, j’espère parvenir à vous faire écouter d’une autre oreille cette musique trop souvent qualifiée de « bruit ».

Mais venons-en enfin à ce concert : Je ne ferai pas de commentaires sur la 1ère partie, un groupe répondant au doux nom de KDFMD, car tout ce dont je me souviens, c’est d’un chanteur chauve hurlant des phrases incompréhensibles (normal, c’était de l’allemand…). La salle (l’Outpost) est pleine, même si elle n’est pas très grande, ça fait quand même pas mal de monde. Les 5 membres du groupe entrent sur scène. Blixa, tout de noir vêtu, entame le concert par le « Prologue » de l’album « Haus der Lüge »… Puis les titres s’enchaînent, en commençant par « Ich bin’s », titre où Blixa se représente comme n’étant… rien ! Et ce personnage qui n’est rien demande à quelqu’un de lui ouvrir sa porte (peut-être pour trouver sa propre identité ?) ; d’autres voix lui répondent « N’ouvre pas ! ». Décidément, après le « ½ Mensch » (Demi-homme), voici l’homme qui n’est rien… ( Ils nous étonneront toujours !). Autant que je m’en souvienne, il n’y eut aucune parole adressée au public entre les morceaux. Un concert très froid… Il est bien loin le temps où ils s’amusaient à arroser le public d’étincelles ! Et pourtant l’émotion (les émotions !) passent, elles ne font pas d’étincelles (visibles), mais elles vous enflamment d’autant mieux…

Parmi les instruments, ceux qui ont déjà eu la chance de voir Einsturzende Neubauten en concert auront certainement remarqué un caddie, ainsi que d’étranges tubes de métal sur lesquels un des Einsturzende Neubauten frappait à coups de perceuse, ainsi qu’une plaque de métal au sol frappée à coups de marteaux ; il y eut même un moment où les 5 Einsturzende Neubauten se retrouvèrent presque tous agenouillés sur la scène, l’un frappant avec un marteau, les autres torturant leurs instruments, et Blixa hurlant comme lui seul sait le faire… Bref, ils font du bruit, et savent le faire. Je crois en fait qu’il y a deux façons de le faire : il y a celle qui consiste à frapper un objet en se disant « Je vais frapper de toutes mes forces pour faire le plus de bruit possible », et là c’est le cerveau qui agit ; l’autre façon c’est de se dire « Je vais frapper parce que j’ai mal, et je veux extérioriser ma souffrance, la communiquer », alors c’est le cœur qui agit, qui donne la force. Ce n’est plus le but mais c’est la cause qui importe, et alors on se soucie peu du résultat. Or dans le 2ème cas, le résultat est toujours positif, on sent cette émotion qui vient du cœur… L’émotion essentielle. Il ne suffit pas de frapper le plus fort possible ; l’énergie à elle seule n’est rien, il lui faut une émotion pour la guider, la communiquer. Par exemple, j’ai assisté il y a quelque temps à un concert de Die Haut : De l’énergie, c’est incontestable, ils en ont ! Pourtant je n’ai absolument rien ressenti durant ce concert, il manquait cette émotion qu’ Einsturzende Neubauten sait si bien faire passer, pas seulement à travers la musique, mais aussi par les mots (Die Haut n’ont joué que des instrumentaux – peut-être leur musique aurait-elle eu plus d’intensité avec des paroles ?). Les textes d’ Einsturzende Neubauten y sont en effet pour beaucoup dans l’intensité des morceaux : voir Blixa chanter « Meine Seele brennt » (« Mon âme est en feu ») ne peut laisser indifférent, car on a vraiment l’impression qu’il souffre… Et ses cris sont humains, plus qu’humains, comme s’il voulait exorciser sa souffrance (cf. « Hör mit Schmerzen » : Ecoute avec ta souffrance »). Et s’il chante « Ich bin das letzte Biest am Himmel » (« Je suis le dernier animal au ciel »), c’est peut-être parce qu’il ne faut pas oublier que l’homme était au départ animal, et qu’aujourd’hui le cerveau est trop souvent le maître ; il faut tout calculer, tout réfléchir… (« Wir sind kalte Sterne » : « Nous sommes des étoiles froides »). Il nous manque trop souvent la spontanéité qui vient du cœur. Blixa disait dans une interview que la plupart des morceaux de l’album « ½ Mensch », par exemple « Letztes Biest » et « Sehnsucht » sont des titres faits spontanément. « Letztes Biest » a été « inventé » durant un concert à Vienne…

Pour en revenir à ce concert à Göttingen (à quelques kms de la RDA), l’un des moments les plus forts fut le titre « Sand » (reprise d’un assez vieux titre de je ne sais plus qui !). Blixa chante « I am a stranger in your land », et on a l’impression qu’il se sent vraiment étranger, même dans son pays natal, comme s’il voulait dire « Je suis étranger à votre monde » - La souffrance face à ce monde n’a pas de frontières, surtout pas celles imposées par l’Etat. De plus, étant moi-même réellement en pays étranger, vous comprendrez que la tension était alors à son comble…

Pour terminer nous eûmes droit à 4 ou 5 rappels ( !! ), espacés parfois d’1/4 d’heure d’attente, mais le public était patient (quand on aime on ne compte pas…)

A la fin du concert, j’ai entendu un des spectateurs dire que leurs instruments étaient « primitifs ». A l’ère où la musique électronique est omniprésente, où il suffit d’appuyer sur un bouton pour faire de la « musique » (hem…), se servir de tôles et de tuyaux pour en sortir des sons relève d’une attitude bien particulière et bien plus intéressante. La musique, la vraie, n’a rien à voir avec les calculs froids d’un cerveau humain…

« A travers le dur labeur qui leur est propre, leur esprit de suite imperturbable, la souffrance de la véritable expression de soi, ils ont atteint un son authentique qui est vraiment le leur. C’est un groupe qui a développé son propre langage pour donner une voix à leurs âmes. Et ceci est la différence fondamentale entre Einsturzende Neubauten et ceux qui les imitent (…). Ils ont toujours connu le but et le sens de leur musique : l’expression de leur âme. » (Nick Cave)

Le 1er avril, (et ce n’est pas une blague !) Einsturzende Neubauten fêtent leurs 10 ans d’existence en donnant un concert à Berlin, un concert qui sera, d’après Blixa, « une party pour nous et nos amis ». Einsturzende Neubauten ont de plus en plus d’audience, leur dernier lp fut un événement attendu de tous, et les répercussions ne sont pas négligeables : Certains titres de « Haus der Lüge » sont utilisés pour des feuilletons TV (le titre « Schwindel » par exemple), un autre titre servira de musique de fond pour un jeu radiophonique sur une station est-allemande ; en décembre 1989, ils ont eu le droit de faire un concert pour la 1ère fois en RDA… La musique d’ Einsturzende Neubauten se répand sur les ondes, sur le petit écran, et cela ne les gène nullement, car la musique authentique parviendra ainsi à toutes les oreilles, et peut-être un jour pourrons-nous retrouver l’émotion perdue – celle de l’âme : « Wir könnten, aber – » (« Nous pourrions, mais -) [1]

A l’avenir, ouvrez vos oreilles, vous entendrez peut-être la souffrance de l’homme, le dernier animal au ciel… Et surtout, n’oubliez pas : « Sehnsucht ist die einzige Energie » : « La nostalgie est la seule énergie »… Qu’elle nous submerge !

Myriam

[1] sous-entendu « nous ne le faisons pas ».