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1er mai 2012 - Exercice d’écriture 01/05/2012
Moi et les autres
Contraintes imposées :
- Une phobie, une peur : être le centre de l’attention ;
- Deux personnages opposés : un ogre et la belle au bois dormant ;
- Une activité impliquant un déplacement : faire du patin à roulettes.
Pourquoi vivre, pourquoi grandir ? Je n’aime pas ces journées. Vous savez, ces journées… Oui, celles-là. Les jours pour lesquels quelque chose de spécial est annoncé depuis longtemps. Mais rien de gai, non. Par exemple, j’aime bien le jour de mon anniversaire. Et encore… Il suffit que tante Mathilde et les cousins débarquent de Clermont pour que même ce jour-là soit funeste. Je les déteste. La tante, elle ne m’est pas sympathique, mais j’arrive à l’ignorer. Les cousins, eux, sont incontournables, omniprésents. Iles me tournent autour, ils me narguent, ils font une ronde hystérique qui m’étouffe. Ils hurlent. Alors je pleure, car il n’y a rien d’autre à faire. Je m’effondre et me répand. Ça les fait rire. Mes sanglots s’amplifient à leur tour. Je me liquéfie en une mare de honte. Bref, j’aime plutôt bien les anniversaires, sauf en de rares occasions. Mais aujourd’hui, nul anniversaire, ce n’est pas ce qui me préoccupe. C’est un jour de catastrophe annoncée. Je le vois arriver depuis le début de la semaine avec une angoisse grandissante.
Je serai là, debout. Avec trente paires d’yeux braqués sur moi. Dont une paire surtout, plus mortelle que les autres. Mieux intentionnée certainement, avec un bon fond républicain. Mais des yeux qui me scrutent et me tétanisent. Je serai gelé sur place. Dans mon cerveau, tout s’emmêlera. Une pelote de laine défaite par un chat et remise en boule à la hâte, indémêlable. Peut-être une histoire d’ogre passera-t-elle dans cet embrouillamini. Ou une histoire de princesse. Ou les deux. J’aurai du mal à m’y retrouver. Peut-être cette rencontre improbable me fera-t-elle-même sourire, devant toutes ces paires d’yeux qui ne comprendront pas la cause de ce rictus. Tout cela filera, passera dans ma tête en laissant des traînées incandescentes au milieu du vide obscur, profond, qui m’envahira de plus en plus. Car, dans ma tête, à ce moment-là, il devrait y avoir d’autres pensées. Je devrais voir défiler les mots et le prononcer. J’ai appris, j’ai répété, je sais. Mais je ne saurai plus. Je le sais aussi. Je sombrerai dans un monde alternatif où aucun œil ne pourra me retrouver. Je resterai planté devant cette assistance acerbe, mais je ne serai plus là. Je serai perdu.
Pourtant, il faut y aller. Il faut boire le breuvage amer jusqu’à la lie, s’en goinfrer. Demain sera un autre jour, celui-ci est déjà perdu, je le sais. Je vais me lever, je vais essayer de masquer mon angoisse, faire comme si rien de spécial n’allait arriver. Ne pas ajouter la honte à la honte. Je chausserai mes patins à roulettes de super-héros et me rendrai à cet échafaud secret. Ceux qui l’on bâtit n’ont même pas conscience du rôle funeste qu’ils tiennent dans ma vie. Ils en riront. Et leur rire sera comme ces lances que l’on plante entre les côtes du supplicié. Leurs rires seront ma mort.
Tout à l’heure, le bourreau appellera mon nom. Je me lèverai, fendrai la foule, monterai sur l’estrade.
Je ne réciterai aucun poème. Ils riront. Je retournerai m’asseoir au fond de la classe.
Puis ça passera.