Nous avons, sur notre ordinateur, un fond d’écran qui montre la progression de la lumière du soleil sur la Terre en temps réel, et l’on voit clairement que l’Islande est seulement effleurée par la pénombre durant la nuit en ce mois de mai. Cela confère à notre séjour un tour inédit, et l’on se prend à penser que l’on pourrait ne vivre que la nuit, du moins ce qu’il est convenu d’appeler « la nuit » ailleurs, ou bien ne jamais dormir… Comme ces conventions perdent de leur côté figé, comme il est exaltant de sentir que l’on peut s’échapper pour un temps du temps tel qu’il est compté chez nous ! Les paysages des fjords ajoutent à ce sentiment de ne plus faire partie du même monde que nos pairs, nous nous retrouvons si souvent ébahis devant ces falaises abruptes le long desquelles nous devons cheminer, si souvent surpris par ces champs de mousse à perte de vue, et stupéfaits de voir que l’on peut vivre au milieu de ces paysages, dans une ferme perdue au creux d’une vallée désolée, où s’égaillent de loin en loin des maisons abandonnées… Quelle étrange vie l’on doit mener là, loin de tout… Et pourtant non, rien n’est étrange, c’est juste une vie, une façon de vivre, et qui oserait dire que notre façon de vivre à nous n’est pas aussi étrange ? Et puis, que signifie « loin de tout » ? Comme si l’on considérait que ce « tout » qui emplit nos vies est indispensable, tant nous avons oublié que l’on peut vivre sans supermarché, sans cinéma, sans tout ce nécessaire superflu qui nous éloigne tant de l’essentiel…
Nous avons quitté Breiðavik ce matin, après avoir changé un pneu crevé – le 4X4 a un peu souffert des pistes d’hier – puis nous nous sommes arrêtés à Patreksfjörður pour faire réparer le pneu. Nous sommes arrivés vers 13 heures à Bíldudalur, le temps de trouver un hébergement et nous reprenions la piste qui longe le fjord jusqu’à nulle part… Ce sentier de graviers et de terre se perd dans la mousse des champs… Nous sommes allés jusqu’à Selàrdalur, où se trouve la ferme où habita Samùel Jònsson, un artiste qui vécut là jusqu’à sa mort en 1969, et qui a sculpté des statues d’hommes et d’animaux que l’on peut voir devant la ferme qui tombe aujourd’hui en ruine. Ces sculptures sont assez laides, à mon goût, et tranchent par leur naïveté sur le côté austère des falaises qui les entourent. Nous nous étions tout d’abord fourvoyés, croyant trouver la ferme au bout d’un chemin, qui en fait menait à une maison abandonnée (une de plus !), se délabrant à côté d’une église… Les photos des sépultures que nous avons prises là témoignent de la beauté sauvage mais inquiétante de ces paysages. Nous avons pris le sentier à rebours pour revenir à Bíldudalur, ne croisant que moutons et oiseaux marins, longeant la falaise d’un côté, la mer de l’autre, gardant un oeil sur l’autre rive du fjord… Demain, nous continuons vers le nord, jusqu’à Ísafjördur, avant de redescendre le long de ce qui, sur la carte, semble former l’une des pattes d’un crustacé que les fjords dessinent.