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Publication le 2007-11-20 02:15:41

Mis à jour le 2011-02-10 15:44:03

Société française

Quand le pouvoir défie le peuple...

20 novembre 2007

D’habitude, c’est le peuple qui défie le pouvoir, l’inverse est pour moi inédit (je crois n’avoir vu ça que dans des dictatures…). Car quel intérêt peut avoir un gouvernement qui défie son peuple, même une petite portion de celui-ci, en imposant une perte substantielle d’acquis sociaux ? Vous avez deviné, je veux parler des grèves qui paralysent depuis quelques jours la France qui se déplace. Oh, je ne connais pas bien le dossier, je le reconnais bien volontiers. Je ne subis pas non plus ces grèves, puisque j’habite actuellement à Montréal. Mais peu importe, car je veux seulement parler ici de ce que je vois aux informations, sur la deuxième chaîne nationale.

Ce soir, Monsieur Xavier Bertrand a fait le déplacement, il vient porter la bonne parole du président, d’un ton posé, calme, presque rassurant. C’est vrai que ce gars a une voix agréable, peut-être un peu trop aiguë ? Il est ouvert à la négociation, c’est ce qu’il dit. Ce sont les méchants syndicalistes qui ne veulent pas. Il est ouvert à la négociation, mais il faut que la grève cesse : on ne peut pas négocier pendant qu’il y a une grève. Pourquoi ? Je ne sais pas… Pourtant j’ai entendu l’argument une bonne dizaine de fois. Mais personne n’a jamais fini sa phrase. « Tout le monde comprend bien que l’on ne peut pas négocier… » Je n’ai toujours pas compris, je dois être un idiot de gauchiste. C’est un peu comme si j’exigeais qu’un employeur me signe un contrat à durée indéterminée avant d’accepter l’entretien d’embauche, pour avoir moins de pression. C’est ça hein, je comprends enfin ? C’est une histoire de pression… Parce qu’ils ne l’ont pas, la pression, les cheminots ? Et tous les autres ? Qu’ils exercent une pression est normal. La grève, c’est un contre pouvoir que certains ont la chance de pouvoir exercer. Les autres, tous les autres qui n’ont pas assez les moyens de signaler au monde leur présence, n’ont même pas ce pouvoir. Alors c’est une pression, la grève ? Eh oui…

Monsieur Bertrand parle de justice sociale, comme Nounours disait « Bonne nuit les petits » à une époque où la télévision était encore une merveilleuse invention. Il faut faire cette réforme parce que c’est juste, nous sommes tous égaux. Oui, tout à fait d’accord… Moi je veux son salaire ! Ou celui du président, qui vient de s’augmenter. Allez, tous dans la rue pour une réforme juste : « TOUT-LE-MONDE---À---40 000-EUROS ! ». C’est juste ça non ? Non ? Que tout le monde travaille le même nombre d’années pour le même salaire, ce n’est pas juste ça ?
Monsieur Bertrand ne dit rien, mais j’entends tout de même sa voix me répondre que non, ça n’est pas juste. « Parce que certains méritent plus que d’autres, le poids des responsabilités voyez-vous… » D’accord, d’accord, et les rentiers alors, ils méritent ? « Non, mais là c’est normal, ils ont des possessions. » J’ai dû mal à établir une différence nette entre acquis fonciers et acquis sociaux. Un acquis c’est un acquis, c’est une chose sur laquelle on peut compter.
Alors j’imagine le gars, cheminot de son état, 54 ans et demi de cotisations, qui se laisse tranquillement glisser sur ses six derniers mois de boulot avant la quille. Et là, un nabot hystérique vient lui dire que ce n’est pas juste, qu’il doit bosser 5 ans de plus… Vous ne comprenez pas un peu qu’il soit remonté le gars ? Moi je le comprends, c’est logique. Et je ne peux pas m’imaginer qu’au gouvernement personne n’y ait songé. Si, bien sûr, ces grèves étaient planifiées…

Mais au fait, cette réforme, c’est uniquement pour être juste, ou il y a un vrai problème ? Je crois… Je ne me souviens plus, tout le monde ne parle que de justice. Pourtant, si la caisse des retraites ne pouvait plus payer un centime, ce serait un super argument ! Je crois que je le comprendrais mieux, les cheminots aussi, certainement.
La voix lancinante de la pensée du parti (néo-libéral) se fraye encore un chemin jusqu’à mon cerveau. Je ne sais pas d’où elle vient, peut-être des fréquences inaudibles dans la voix de Monsieur Bertrand ? Un nouvel effet, comme des images subliminales sonores… Alors il y a nous, tout le monde, et il y a les privilégiés qui ont un régime « spécial » (ça veut tout dire…). Ce n’est pas juste. C’est ce qu’il faut que je pense… Ce n’est pas parce qu’il y a un problème, la France va super bien depuis que Zorro est arrivé, mais c’est juste qu’il y a toute une bande de privilégiés là, qu’il faut remettre au travail. Le travail, ça, c’est une valeur, avec la justice.
Alors voilà, Zorro est arrivé, il a vu une injustice, ni une ni deux, il lui a tordu le cou. Plus de régimes trop spéciaux, tout le monde à 40 années !

Monsieur Bertrand insiste : il est prêt à négocier… Sauf sur ce qu’il n’est pas prêt à négocier. Ça c’est très fort. Il ne sourit pas, ne semble pas spécialement fier de son entourloupe. Encore une fois, la honte me gagne face à mon inculture. Il y a eu des négociations avant ? Parce qu’il me semble qu’un truc comme ça, on doit forcément le discuter avec les intéressés. Ça vous plairait, vous, qu’on vous dise : « Tiens, ça je te le retire… Parce que c’est juste. » Vous râleriez non ? Je veux dire, si vous en aviez les moyens, si vous saviez que vous pouvez paralyser un pays et faire plier un gouvernement, vous n’essaieriez pas ? Vous reconnaîtriez immédiatement la bienveillante justice du propos ?
Un jour, je vais venir chez monsieur Bertrand et je vais lui dire : « Salut, je te prends ta maison, ce n’est pas négociable, mais si tu veux on peut parler de la tondeuse à gazon… ». Peut-être qu’il acceptera…

Je rigole, je rigole… Mais je finis par ne pas trop m’amuser. Alors j’écris un article.
Je crois qu’il y avait bien des façons de négocier cette réforme (peut-être nécessaire, je le répète, je ne veux pas juger de ça ici). Le premier moyen, qui n’aurait pas soulevé la moindre vague, aurait été de changer simplement les conditions d’embauche des nouveaux salariés. Là, pas d’entourloupe, le nouvel arrivé sait à quoi s’en tenir. La situation est-elle à ce point catastrophique que cette mesure « douce » n’aurait pas suffit ? Et est-ce que les mesures de compensations, maintenant envisagées par le gouvernement et les entreprises pour sortir du conflit sans céder, ne coûteront pas autant ? Bon, soit ! Mais il y avait des solutions intermédiaires. Ils auraient par exemple pu proposer un échelonnement selon l’ancienneté : un tout jeune embauché passe aux 40 années, mais le gars dont je parlais tout à l’heure, lui, pourrait garder sa retraite dans 6 mois. Je crois qu’il y aurait déjà eu moins de problèmes… Bref, si on veut parler de négociations, il y avait matière.
J’arrive très bien à imaginer ce que pourraient être les négociations sur un sujet pareil. Tout d’abord, elles doivent forcément partir d’un constat : s’il n’y a aucun problème, pourquoi faudrait-il changer quelque chose ? Après on discute : « Il faut que vous cotisiez plus pour payer les retraites de vos ainés. », « Non, je ne veux pas, je veux partir en retraite comme prévu, c’est dans mon contrat. », « Oui, mais ce n’est pas possible. », « Ah… ? », « Alors, qu’est-ce qu’on fait ? ». Après il faut voir… C’est une négociation classique, où chacun peut faire des concessions petit à petit, mais la marge de négociation est large entre ne rien changer et imposer 40 années tout de suite pour tout le monde.

Alors pourquoi ? Pourquoi le gouvernement, ou plutôt le président, s’est-il engagé dans ce bras de fer ridicule qui fait pester les franciliens ? … … Silence… J’y pense… Une idée ?
Et si c’était simplement pour le plaisir ? Pour montrer à Clichy, au MEDEF et à Wall Street qu’il est possible d’ignorer les syndicats, que « ce n’est pas la rue qui gouverne ». Et si c’était simplement pour que ses électeurs pensent : « Notre président, c’est un mec qui en a ! » ? Ou ses électrices, n’oublions pas que l’homme s’est fait larguer (je sais, c’est bas, je n’ai pas pu m’empêcher…).
Et si c’était simplement un caprice narcissique du président des narcisses ? La France est un pays narcissique, elle a trouvé le président qu’il lui fallait… J’ai compris ça depuis que j’habite au Québec.
Mais la France fait aussi des révolutions. Elle bout, elle bout, et un jour elle explose. Et là, effectivement, c’est la rue qui gouverne. En fait, c’est toujours la rue qui gouverne, il n’y a qu’un dictateur pour dire « Vous m’avez élu, maintenant vos gueules ! » Certes il a un mandat de cinq ans, mais, dans une démocratie saine, le peuple doit garder le pouvoir. Je me souviens d’un nabot à la moustache raide et au bras levé, qu’un peuple a élu aux commandes d’une démocratie voisine il y a une soixantaine d’années… Oui, ils l’avaient élu. Et ceux qui l’avaient élu étaient contents, au début… Il devait relancer l’économie du pays… « Toutes les organisations politiques, économiques et culturelles sont "mises au pas". On commence par l’organisation autoritaire des activités économiques. Les syndicats sont anéantis. Le droit que les ouvriers avaient conquis de haute lutte, au 19ème siècle, de s’unir pour la défense de leurs intérêts sur leur lieu de travail leur est ôté. » [1]

Après Zorro un peu partout dans le monde, voici le nouveau Sarko, dans le rôle du mec qu’il ne faut pas faire chier, qui a un gros flingue et rien à perdre. Un flic dans la ville.
Ou plutôt Clint dans un bon vieux western, il a dû ramener une panoplie de son récent voyage au pays d’Hollywood chewing-gum.
Et la réforme, au fait, on s’en fout. Ce n’est pas un problème qu’elle soit juste ou non. Le président voulait seulement prouver sa force.

Fabrice

[1] Extrait de « Interrogeons l’Histoire de l’Allemagne », chap. 6, « Le troisième Reich ».