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Le Souvenir

Marion parle aux enfants :

« Il était une fois au bord du désert, parmi les tribus anciennes.

J’étais très jeune alors, comme vous maintenant, et je me promenais déjà avec Guillaume. Mon père nous menait à travers le désert.

Nous sommes arrivés un soir en un endroit où il y avait eu une guerre, entre deux tribus ennemies. Je m’en souviens parfaitement. Le soleil était déjà bas, il allumait les vieilles pierres d’une lumière orange, très calme. Nous marchions le long d’un oued presque asséché. Devant nous mon père parlait de choses sérieuses avec un homme du village proche.

Alors que nous passions sous un large pont nous sommes montés sur la berge et avons contourné une ancienne tour. Mon père nous a dit que nous y verrions le visage de la mort.

Il y avait là les guerriers tués au combat, allongés sur la terre pour laquelle ils avaient péris. Nous avons longé la tour en passant devant ses corps. Puis, parmi eux, recroquevillé sur lui-même, nous avons reconnu un vieil homme du village. Sur son visage usé par le vent il portait une moustache touffue et pendue sous un gros nez rond, qui surplombait un menton en arrière et une bouche qui disait des mots de sagesse. Il était comme un vieux druide venu finir sa vie dans le désert. Au sein du village il était connu pour sa grande connaissance du monde. On le remarquait tout de suite à l’intensité de ses yeux, d’où semblait rejaillir tout ce que la vie lui avait appris.

Il était là sur la terre, gisant recroquevillé dans sa vieille Djellaba toujours blanche. Son visage était ensoleillé par un sourire qui promettait encore quelques-unes des farces qu’il nous faisait toujours. Mon père l’a regardé avec tristesse, les yeux mouillés, parce qu’ils étaient de grands amis.

Le sourire s’est fait plus grand et, avec une énergie toute fraîche, le vieillard s’est étendu complètement puis s’est relevé devant nos yeux ébahis. Guillaume et moi étions fous de joie. Il s’est un peu secoué pour dépoussiérer son habit et à fait quelques pas vers nous. Mon père souriait mais ses yeux étaient inquiets, il en avait vu beaucoup, lui aussi.

Le vieil homme s’est avancé vers nous et mon père nous a dit : « Surtout ne le touchez pas ! » Nous ne savions pas pourquoi il disait cela, mais il y avait une telle force dans ces mots que nous nous sommes placés derrière lui.

Ils se sont mis à parler comme s’ils venaient de se croiser, tous deux en pleine forme. Le vieil homme nous a fait quelques signes de connivence qui nous ont emplis de joie. Il a demandé ce qu’il pourrait boire car il avait soif. Nous avons remarqué que ses yeux autrefois si brillants étaient restés clos. Mon père lui a dit qu’il portait une gourde et s’apprêta à lui donner. Il arrêta son mouvement alors que le vieillard tendait déjà la main.

Mon père sembla un instant désemparé, abattu par son acte irréfléchi. Car, en fait, il avait fait lui-même ce qu’il nous avait interdit. En donnant la gourde à cet homme, ami certes, mais mort, il le faisait rentrer dans notre monde. En une seconde tout c’est inversé. Le vieil homme a comprit ce que mon père pensait, mais il était trop tard pour reculer. Son visage s’est durcit, la mort, la méchante mort, l’a investi de nouveau et il s’est précipité sur nous. D’un seul geste mon père a saisi une canne posée contre les pierres et lui a abattu sur la nuque. Le vieil homme s’est écroulé pour la seconde fois sur le sol poussiéreux, il a reprit sa position d’avant...

 

Quand le passé te vient en tête, regarde les images qui défilent dans tes yeux... mais surtout prends garde de ne pas y rentrer, de ne pas te laisser prendre. Reste à l’extérieur, reste un spectateur, car il n’y a plus de vie dans le passé. La vie ne se conjugue qu’au présent. »