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2.

Pendant que je sombrais dans l'inconscience, mon esprit s'est engagé dans un grand ménage de printemps. Par tonnes, des images remontent de ma mémoire, s'entrechoquent avec celles, plus récentes, qui viennent d'impressionner ma rétine…

 

Roger, mon père adoptif, avait eu un engouement de première heure pour le phénomène ovni.

Alors que je n'avais que six ou sept ans, il organisait des expositions-conférences sur le sujet, pour sensibiliser la population, pour poser des questions. Il revenait à la maison tout exalté, relatait à ma mère les fabuleuses histoires qu'il avait entendues ou le méprisable mépris des incrédules, qui auraient au moins pu se poser la question.

Roger avait la fibre scientifique. Il entendait bien disséquer le problème, rationaliser, chercher la vérité au milieu d'une tonne de ragots, de superstitions et de désinformation.

Plus tard, juste avant que je ne les quitte définitivement, peut-être la dernière fois que je suis passé chez eux, en coup de vent, j'ai retrouvé quelques vieux livres traitant du sujet. À cette occasion, les souvenirs de ces réunions ont ressurgi de ma mémoire. J'ai alors mesuré le réel intérêt qu'il portait à ces choses, les efforts qu'il avait fournis pour s'informer. La quantité de livres en témoignait.

Mais ce qui m'a le plus marqué, concernant Roger, est le jour où je l'ai vu sortir tout nu dans la nuit pour faire de grands signes au ciel avec une lampe torche.

Nous étions en camping, je devais avoir un peu plus de dix ans. Il était tard, le camping entier dormait. Des couples devaient s'ébattre par-ci par-là, mais je ne m'en rendais pas compte à l'époque.

Je m'étais réveillé au bruit de la caravane violemment ouverte et j'avais soulevé un pan de ma tente, plantée devant, pour voir ce qui se passait.

Et je l'avais vu, nu dans la nuit, le regard au zénith, faisant de grands signes répétitifs avec sa lampe torche, comme un message adressé au ciel. Magnifique. Le faisceau de la lampe allait se perdre dans la nuit.

Ce n'est qu'au matin, poussé par les ricanements de ma mère, qu'il nous avait avoué le but de cette danse mystique : il avait cru voir se déplacer un point lumineux dans le ciel, en avait déduit qu'il s'agissait d'un vaisseau extraterrestre, et donc, logiquement, il était sorti pour faire des signes de bienvenue.

Les signes étaient des omégas, les plus grands possible. J'appris à cette occasion que c'était un signe de bienvenue. En cours de math, chaque fois que je traçais un oméga sur mon cahier d'écolier, je repensais à cette scène.

J'admirais cet homme, seul face à l'infini, qui avait osé croire à une vague impression et s'était empressé de réagir, pour que l'humanité ne reste pas à jamais dans les ténèbres.

Depuis ce jour, je me suis promis que, si je voyais des extraterrestres débarquer devant chez moi, j'irais les rejoindre sans l'ombre d'une hésitation.

 

J'ai quitté mes parents adoptifs juste après mes dix-huit ans, et je dois bien reconnaître que, depuis, je n'ai fait que traîner.

Je venais de passer le bac et m'étais inscrit à la fac. Mais je n'y suis pas allé. À cette époque j'étais trop fainéant. Je voulais vivre avant tout. Et puis, je n'avais pas plus d'appétit pour l'une ou l'autre des matières qui m'étaient proposées.

Comment voulez-vous faire un choix dans ces conditions ?

J'avais préféré m'enfuir, prendre un petit boulot et passer mes jours ou mes nuits, selon disponibilité, à traîner dans la ville.

Je ne venais à la fac que pour acheter des produits illicites, voir quelques amis, et, au printemps, voir les filles profiter des premiers jours de soleil sur la pelouse.

Ça a duré longtemps, et, maintenant, je regrette de n'avoir pas mis un pied dans les amphithéâtres, rien que pour voir comment c'est, l'impression que l'on a quand on y entre.

Avec juste un peu plus de motivation, j'aurais pu assister à un cours, écouter la voix monotone qui dispense l'enseignement, sème la connaissance. Une sorte de prêtre laïc.

 

Un jour, sur la pelouse du campus, j'ai rencontré un étudiant en astronomie. Je ne me souviens plus très bien comment nous en étions arrivés là, mais en moins d'une heure le gars était parti dans un véritable exposé sur l'univers. Pas en détail, bien sûr, je n'aurais rien compris, mais juste ce qu'il faut pour que je puisse me faire une idée d'ensemble.

Outre cette histoire de « paradoxe de la nuit noire », que je n'ai pas bien suivie, je me souviens de ce qu'il m'avait raconté à propos des ovnis.

« Tu vois, il y a nous, sur cette planète… et il y a tout l'univers autour.

Au Moyen Âge, et avant je suppose, on croyait que la terre était plate et que le ciel était posé dessus comme une cloche à fromage.

Après, on s'est rendu compte que c'était rond, mais on pensait encore que les étoiles étaient agrafées sur une sorte de sphère qui enserrait la Terre. Le Soleil aussi était beaucoup plus petit que la Terre et se déplaçait sur cette sphère.

Après, on s'est rendu compte que c'était plutôt la Terre qui tournait autour du Soleil. Ça a été très dur à admettre parce que ça mettait la Terre au même niveau que les autres planètes. Nous n'étions plus au centre de l'univers, c'était difficile à supporter pour notre ego…

Nous savons maintenant que le Soleil est dans une galaxie, que la galaxie contient des milliards d'étoiles, qu'il y a d'autres galaxies, des milliards aussi… Mais ça a été plus facile à admettre parce que ça n'est pas une révolution comme celle du Moyen Âge.

Le nouveau pas à franchir sera d'admettre qu'il y a probablement d'autres planètes habitées par d'autres êtres intelligents.

On a découvert très récemment que beaucoup d'étoiles sont entourées de planètes. Vu le nombre d'étoiles, la probabilité pour que les conditions qui ont permis le développement de la vie sur Terre se retrouvent dans d'autres mondes, ne peut plus être considérée comme négligeable.

- Tu crois aux ovnis alors ?

- Je crois, comme la majorité des scientifiques, qu'il est très probable que d'autres formes d'intelligence existent dans l'univers. Mais je crois aussi que le voyage pour venir nous voir doit être très long, voire impossible. Alors, non, je ne crois pas aux ovnis. »

 

Je le trouvais stupide ! N'avait-il jamais entendu parler d'hyper-propulsion et de sauts dans l'espace-temps ? Il n'était peut-être jamais allé au cinéma, ou alors uniquement pour des films d'art et d'essai.

Mais passons, c'est tout de même grâce à lui que j'ai commencé à me poser des questions sur le sujet, épisodiquement, sans trop y croire.

Dans les médias, le même scepticisme régnait : la moindre information ayant trait aux extraterrestres était tournée en dérision. Les pauvres invités qui croyaient au phénomène se faisaient irrémédiablement lyncher en public. On leur riait au nez, on les renvoyait à leur folie, voire à leur alcoolisme latent.

Il faut dire que beaucoup de gens se damneraient pour passer cinq secondes à la télévision, fût-ce en passant pour un idiot, les émissions de téléréalité le prouvent tous les jours.

Certains de ces illuminés paraissaient pourtant sincères. Ils se contentaient de courber l'échine et d'accepter leur fardeau, comme les apôtres incompris d'une vérité trop nouvelle.

 

Alors que je chois vers les gars bizarres, toutes ces images défilent devant mes yeux. Et ce qui en ressort, c'est que les ovnis, j'y ai cru, mais je n'y crois plus.

L'étudiant en astronomie disait peut-être vrai, ou peut-être pas. Peut-être qu'il n'y a pas tant d'étoiles que ça. Mais surtout je ne vois pas comment on aurait fait pour passer à côté. C'est tout de même étrange que tout le monde parle de ça et que personne n'ait de preuve !

Vous me direz, c'est comme la télépathie et des tas d'autres trucs plus ou moins bizarres, comme les maisons hantées, les bâtons de sourcier, tous ces trucs qu'on ne comprend pas bien. Ce n'est pas clair. Je ne dis pas qu'il n'y a rien de vrai, je dis que tout ne peut pas être vrai. Et les ovnis, en l'occurrence, c'est un peu gros à cacher.

C'est tout de même visible une soucoupe volante, alors, si elles existent vraiment, il devrait y avoir une photo, un écho radar, quelque chose. Et quand l'une d'elles rentre dans l'atmosphère, comme une météorite, on devrait voir sa trace.

Bref, si ça existait vraiment ça se saurait. Ça se saurait depuis longtemps.

En plus, en voyant le bordel que l'humanité est en train de mettre sur la Terre, les extraterrestres feraient bien de venir nous dire quelque chose. Tout comme Dieu, d'ailleurs. Vous les voyez tous, là-haut, à se tourner les pouces en attendant qu'on fasse péter la planète, comme ils attendraient la tombée de la nuit un soir de quatorze juillet.

Et vous pouvez y croire, vous ? Moi non, au moment où je tombe, je n'y crois pas.

 

Ces visages, cette tige noire à laquelle je m'agrippais et qui ressemblait à s'y méprendre à une protubérance, comme une antenne sur un vaisseau spatial…

Je devais être fatigué, déprimé, j'ai travesti la réalité. En fait, je suis en train de tomber dans les mains d'un groupe militaire ultrasecret en mission, ou de la mafia. Dans les deux cas mon compte est bon, à moins que je ne plaide la non-voyance, auquel cas il faudrait que j'explique comment je suis arrivé là.

Je n'y crois pas.