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Lettres ummites
Les discours d'Hermes
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Lire > Chapitre 28 :

28.

C'est une grande salle, un amphithéâtre. Nous devons bien être un millier assis sur de larges bancs, avec un pupitre devant nous, comme les élèves d'un cours plus que magistral.

Tous les gens qui parlent de mélange ethnique devraient venir voir ça. Quand Hermès disait que les peuples de la galaxie ne sont pas aussi proches que lui de la morphologie terrienne…

Et ce qui est étalé sur les pupitres a peu de chose à voir avec les cahiers de chez nous. Il y a des appareils qui font penser à des ordinateurs, mais il y en a aussi qui m'intriguent au plus haut point. J'essaie de voir comment ça marche, ce que ça peut faire. Y a-t-il un écran ? Quelque chose pour visualiser… Parfois je n'arrive pas à comprendre, j'imagine qu'il s'agit d'un truc tombé là par hasard, qui n'a aucun rapport avec le cours.

Hermès a jugé que nous étions prêts, Vania et moi, à suivre un cours intitulé « Introduction à la société galactique pour les jeunes peuples. » Vous m'en direz tant.

Il nous a donné à chacun un casque de standardiste, avec un micro, et des lunettes. Ce sont des périphériques adaptés à notre morphologie, à notre langue et à notre cerveau, des outils terriens capables de se connecter aux ordinateurs exo-terriens et de traduire à la fois ce qui est dit et ce qui est écrit.

Pour le cours nous n'avons besoin ni des lunettes, ni du micro. Certains élèves interviennent, mais nous n'en sommes pas là.

En fait de cours, cela ressemble plutôt à une conférence. Au centre de l'amphithéâtre, il y a une brochette de cinq personnes, apparemment âgées. Elles n'interviennent que pour répondre aux questions posées, dans les moments prévus pour ça. Le reste du temps nous écoutons simplement une voix qui commente les images holographiques qui apparaissent derrière les cinq sages, comme nous les appelons, Vania et moi.

C'est la fin de l'après-midi, si cela pouvait avoir un sens, vu que nous sommes en plein espace et que le soleil – ou plutôt l'étoile la plus proche – fait un tour complet en moins d'une heure. Disons que, d'après la répartition des heures de cours, des pauses et des repas, nous pourrions être en fin d'après-midi.

Ce matin, le cours portait justement sur le langage, la façon de stimuler, par les mots choisis, le passage d'une pensée planétaire à une pensée galactique. Beaucoup des turpitudes mentales que nous avons vécues étaient commentées.

Maintenant, c'est beaucoup moins intéressant. Ça parle de la mise en place des échanges entre un jeune peuple et le reste de la galaxie. La construction d'une station orbitale qui sera le premier point de contact. Le tourisme et le rayonnement culturel sont les premières choses que nous pourrons échanger avec les autres peuples de la galaxie.

En retour nous n'aurons droit qu'à des matières premières et des enseignements théoriques, pas de produits manufacturés en masse. Il faut à tout prix éviter d'étouffer la culture planétaire, Hermès nous l'a assez souvent répété.

Le cours se termine, c'est le moment de poser des questions. Heureusement il y en a peu, ça va vite. Puis c'est la fin, un des sages se lève pour nous donner rendez-vous dans douze heures, pour une nouvelle session de cours.

Vania soupire de soulagement, moi aussi, mais plus discrètement.

Nous filons immédiatement vers le haut de l'amphithéâtre, puis vers le dédale de couloirs qui nous mènera à notre chambre. Cela fait quatre jours que nous sommes dans cette base spatiale, nous commençons à connaître le chemin.

C'est gigantesque, comme un hôtel de la taille d'une petite ville. Nous avons seulement réussi à repérer la chambre, le bureau de renseignements, la salle de cour et le foyer où nous prenons les repas et où nous pouvons échanger quelques mots, traduits, avec les autres étudiants.

Au début, nous nous servions de petites cartes, électroniques, qui peuvent nous indiquer en permanence les directions à prendre. C'était pratique. Maintenant nous nous en passons, mais il est toujours rassurant de les sentir battre dans nos poches.

 « C'est bien beau tout ça, mais nous, nous sommes seuls… Je ne comprends pas pourquoi Hermès a voulu que nous suivions ce cours… D'accord, ça nous explique comment ça marche, mais, sur Terre, nous ne pouvons pas mettre en place toutes les structures, les comités dont ils parlent. Les gens nous prennent encore pour des timbrés…

- Tu es injuste, Johnny. Je suis sûre qu'Hermès nous a envoyés ici pour nous faire un cadeau… Tu n'es pas content de te retrouver ici, loin de notre Terre, au cœur de la civilisation galactique ?

- Oui bien sûr, c'est cool… On a vraiment l'impression d'être dedans maintenant… Mais t'auras le courage de revenir sur Terre, toi ?

- Comment ça, le courage ?

- Ben je sais pas… On a plein de choses à voir ici, à apprendre… Moi, sur terre, je vais m'ennuyer.

- Tu t'y ennuyais déjà…

- Oui, peut-être… Mais avec ce que je sais maintenant, je vais exploser. Je ne vois pas comment je ferais pour continuer à vivre dans ce fantasme collectif qu'est devenue la société terrestre. Tu ne vois pas toutes les contradictions ? Tous ces discours ineptes, illogiques, inhumains ?

- Si, bien sûr, je les vois… On en a déjà parlé. Je les vois, mais je vois aussi que je ne peux rien y faire, ou pas grand-chose. Je ne vais pas faire une révolution à moi toute seule !

Viva la revolucion ! »

Nous arrivons à la chambre. Rien de spécial à en dire, juste une chambre comme dans un petit hôtel. Nos hôtes ne semblent pas regarder à la dépense pour nous préparer des habitats qui ressemblent en tous points à ceux de la Terre. Je ne sais même pas s'il s'agit pour eux de dépenses.

Je m'affale sur le lit, comme si je sortais d'une journée de boulot, ce qui est à peu près le cas. Sauf qu'il n'y a aucun enjeu, je pourrais aussi bien oublier à cet instant tout ce que j'ai entendu dans la journée. Je pourrais tout effacer et personne n'y trouverait rien à redire. Mais je n'en ai pas le courage, je ne le veux pas.

Il faut le voir, tout de même. Tous ces peuples. Tous humains. Mais il faut avoir une vision assez large de l'humain… Si large qu'on ne sait même plus exactement de quoi on parle.

Hier soir j'ai été faire un tour au foyer, Vania dormait déjà…

« Vania ! »

Elle sort de la douche, partiellement enroulée dans une serviette rose.

« Oui…

- Je ne t'ai pas raconté ma discussion d'hier soir avec un gars qui venait d'une planète… Comment déjà… Un nom du genre "Krynis", mais prononcé bizarrement…

- Quelle discussion ? Quand as-tu eu une discussion ?

- Hier soir, après que tu te sois endormie, je suis allé faire un tour au foyer…

- Tu ne m'en as pas parlé…

- Si, ce matin, je crois. Mais tu n'en étais qu'à la moitié de ton café, t'as pas dû capter…

- Okay, okay, c'est bien possible… Et alors ?

- Eh bien, tu te souviens que, le soir, on avait parlé des différents peuples de la galaxie…

- Oui, tu disais que, si nous étions un "jeune peuple", il devait aussi y avoir des "vieux peuples"…

- Voilà… Eh ben j'en ai reparlé à ce type, machin, qui venait de la planète truc…

- Je vois tout à fait…

- Et il m'a raconté une légende qui commence à courir parmi son peuple, mais il pense que ça vient d'ailleurs, parce qu'ils ne sont en contact avec le reste de la galaxie que depuis deux cents ans.

- S'il te plaît Johnny, épargne-moi les détails…

- Non, mais c'est important, parce que, vois-tu, c'est une légende, juste une légende… Je veux dire, j'ai l'impression que personne ne sait exactement. Et pourtant il doit bien y avoir un peuple qui, le premier, a maîtrisé le voyage spatial, a commencé à se balader dans la galaxie. Peut-être même que ce peuple a littéralement ensemencé la galaxie…

- Et la légende alors, qu'est-ce qu'elle dit ?

- Ben justement ça. Ils les appellent les "anges". Il paraît que ce sont des êtres pratiquement immatériels, ils n'ont plus de corps, ils ne sont qu'un halo, quand ils le veulent bien… Ils seraient à l'origine de tous les peuples de la galaxie, mais personne ne les voit jamais. On ne sait pas sur quelle planète ils habitent. Certains disent qu'ils n'ont plus de planète à eux, qu'ils voyagent encore dans la galaxie, mais qu'on ne les voit pas à cause de leur nature diaphane. D'autres prétendent que ce sont des êtres venus d'une autre galaxie…

- Jolie histoire… Ce sont peut-être les anges qu'on a chez nous…

- Oui, peut-être… Mais c'est marrant, tout de même… On est dans une université galactique. Tu te rends compte de la somme de connaissances accumulée ? Rien que toutes les sciences terrestres sont synthétisées et commentées, avec toutes celles de tous les autres peuples… Mais il y a encore des choses inconnues, des choses qui se perdent dans le passé ou dans la distance. Leur connaissance est immensément plus vaste que celle des savants terriens, mais ils rencontrent encore les mêmes problèmes…

- Et toi tu te poses toujours des tas de problèmes, aussi…

- C'est pas des problèmes, je trouve que c'est passionnant, au contraire… T'as fini avec la douche ? »

 

Vania s'est encore endormie de très bonne heure, ces cours la fatiguent. Moi non, je suis plutôt excité. J'essaie de m'endormir, mais j'imagine tout ce qu'il y a autour de moi, juste derrière les cloisons, tous ces gens, tous ces couloirs, toute cette connaissance accumulée pour être répandue.

Alors je ne peux pas dormir, je remets ça à quand je serai exténué, à bout de forces.

Le soir, les couloirs sont silencieux, déserts. Je vérifie que la petite carte électronique est dans ma poche et je commence à marcher au hasard. J'examine les couloirs, les inscriptions marquées en couleur sur les murs. Je chausse les lunettes pour en avoir une traduction immédiate.

Peu à peu, je comprends comment les différentes pièces sont agencées. Hier, j'avais déjà acquis la certitude qu'elles sont organisées en cercles concentriques. En haut, il y a les chambres, en bas, les salles de cours et les autres lieux de rencontre.

Et ce soir, en imaginant où notre chambre se trouve, j'ai le sentiment que la répartition des pièces suit, approximativement au moins, la répartition des peuples dans la galaxie.

Il doit donc y avoir un centre. Si la répartition est concentrique, si, grosso modo, ça représente une galaxie, il doit y avoir un centre.

Et au centre… Je ne sais absolument pas ce qu'il peut bien y avoir. Probablement ce qui est le plus important, ce qui est au cœur de tout.

Il me faut avoir la réponse ce soir même. Pas de repos avant d'avoir atteint le centre de cette base spatiale. J'ai encore du mal à en estimer la taille, mais nous ne reprenons les cours que dans une dizaine d'heures, j'ai du temps devant moi.

 

Je marche depuis déjà plus d'une heure, probablement dans la bonne direction, mais je n'en ai aucune certitude.

La carte ne peut pas réellement m'aider, car elle ne donne pas une vue d'ensemble de la base, elle se limite à une échelle à laquelle on voit bien les différentes salles et leur nom.

Je l'ai fait défiler jusqu'à ce que je suppose être le centre, en me guidant sur la courbure des couloirs. Je suis arrivé sur une zone où rien n'est indiqué, je l'ai désignée comme destination, et je suis maintenant la direction affichée en permanence sur le petit écran.

J'ai quitté le niveau des chambres pour celui des salles de cours et des foyers. Les couloirs sont plus vastes, et je croise de temps en temps des personnes égarées comme moi dans la base endormie. Nous nous saluons silencieusement.

Je passe quelquefois dans des lieux tout à fait agréables, je m'y arrête quelques minutes pour reposer mes jambes et profiter de l'ambiance. Parfois, les murs sont ornés de fresques, ou le niveau supérieur apparaît en mezzanine, ou encore il y a des fontaines, des rivières, des brumes. Une créativité architecturale étonnante, et, surtout, des éclairages magnifiques.

 

Au centre, il y a une vaste place vide. C'est pour ça que la carte n'indique rien.

C'est une place circulaire d'au moins cent mètres de diamètre. Le niveau supérieur, celui des chambres, s'arrête encore en mezzanine sur un cercle gigantesque. Ça fait un espace énorme. Au centre, un large pylône rejoint le plafond.

Mes pas résonnent dans la vaste salle pendant que je me dirige vers le milieu. J'essaie d'alléger mon pas pour faire le moins de bruit possible, jusqu'à sautiller sur la dalle comme si c'était une surface liquide.

À la base du pylône, il y a une porte, ouverte.

J'entre. C'est une pièce circulaire, avec un second tube au milieu, et ce qui ressemble à des portes d'ascenseur. J'appuie sur le bouton et j'attends. Il y a un petit soufflement, et la porte disparaît devant moi. J'entre dans ce qui ressemble définitivement à un ascenseur, à un tel point que je chausse à nouveau les lunettes pour choisir l'étage. Mais il n'y a pas de bouton, la porte se referme et je sens immédiatement l'accélération de l'engin me propulser vers le haut.

La porte disparaît de nouveau sur une pièce très peu éclairée, la lumière de l'ascenseur se répand sur le sol. La différence d'intensité est si importante que je ne discerne pratiquement pas le reste de la salle.

J'avance, les portes se referment derrière moi, je reste dans la pénombre, écarquillant les yeux pour accélérer leur adaptation.

 

La vaste salle est baignée d'une lueur bleutée. De hauts piliers s'élèvent, larges d'un bon mètre, semblant être en pierre. La lumière bleue provient de leur base, presque imperceptible. La lueur monte, s'étale un peu sur la pierre, et retombe sur le sol blanc. Chaque pilier semble être d'une texture différente, leur couleur varie peut-être également, probablement, mais je n'arrive pas à en être sûr avec cet éclairage bleu.

En haut des piliers, il n'y a rien. Ils deviennent sombres, se détachent à peine sur le fond étoilé de la galaxie. Il y a l'univers !

La vision est si impressionnante, que, sous le choc, je manque de m'effondrer en arrière. Ma main fouille l'air sur le côté, jusqu'à trouver l'appui soyeux et minéral d'un autre pilier.

C'est grandiose, magique. Ce lieu est exactement magique, placé sous le regard des mystiques.

C'est exactement cela, Johnny, c'est un lieu de méditation, un lieu où l'on se retrouve face à la galaxie…

Je ne rêve pas, il y a une voix dans ma tête, un truc qui me guide la pensée pour formuler une phrase…

Oui, c'est ce que vous appelez de la télépathie, je crois…

C'est donc ça, mais qui me parle ?

Peu importe… Je suis là, avec toi, dans cette salle. Avance, tu finiras par me trouver.

Je me demande bien à quoi rime cette partie de cache-cache.

Ce n'est pas une partie de cache-cache. Ça ne rimerait à rien, effectivement. Tu es là, je suis là, je t'ai senti arriver alors je communique avec toi par télépathie tant que tu es loin, cela est tout à fait naturel. Nous sommes dans un lieu où il n'est pas nécessaire de crier…

D'accord, c'est peut-être naturel, mais moi je n'ai pas l'habitude. C'est normal ça aussi, non ? C'est la première fois qu'on me parle par télépathie. Et pourquoi me parler, d'abord ?

Je sais que tu te poses des questions importantes, je le sens, c'est pour cela que nous nous sommes rencontrés. C'est pour cela que tu as eu envie de venir jusqu'ici.

Je ne pensais pas faire de rencontre…

Si, tu as été attiré par l'information qui te manque et dont tu as besoin, maintenant, à ce point de ton évolution.

Hermès m'avait dit qu'il ne pouvait pas communiquer par télépathie… Comment être sûr que ces pensées viennent de l'extérieur ? Comment être sûr que ce n'est pas un fantasme de plus ?

Tu n'es pas fou, jeune Johnny. Tu dois bien sentir que la qualité de ces pensées est différente, elles ne viennent pas de toi. Hermès ne sait pas tout, il est issu d'un peuple à peine plus ancien que le tien…

À peine… Il a déjà une sacrée avance sur nous…

Pas tant que ça, à l'échelle de l'évolution galactique. Et il n'est pas seulement question de niveau d'évolution, mais aussi de la forme d'évolution. Tous les peuples n'explorent pas les mêmes possibilités …

Je n'y comprends rien, cette histoire va me rendre fou. J'ai brusquement envie de rentrer, d'aller m'allonger dans notre chambre, de me serrer contre le corps tendre de Vania.

Attends, ne pars pas, nous ne nous sommes pas encore dit ce que nous devons nous dire… Tourne de trente degrés sur ta gauche et marche tout droit entre les piliers, tu me trouveras sur la bordure de la salle, face à l'extérieur, il y a un banc…

 

Il y a un banc, blanc, et un homme fin assis dessus, droit. Un ruisseau de filaments étincelants se répand sur ses épaules. Quand il se tourne vers moi, mon souffle reste coupé quelques secondes. Jamais je n'aurais cru possible d'être aussi beau. Chaque détail de son visage paraît étincelant, d'une infinie finesse, éclatant de couleur, de vie.

Bonsoir, jeune Johnny, tu vois, tu ne rêvais pas… « c'est bien moi qui te parlais tout à l'heure. »

Saisissant, proprement saisissant. La voix est devenue réelle, presque sans transition. Et l'homme continue, d’une voix sobre et profonde :

« Oui, effectivement… Au début ça doit faire un drôle d'effet…

- Vous êtes un ange ? »

Il rit. Ça me donne l'impression que des fleurs lumineuses et invisibles s'échappent du coin de ses yeux.

« Non, je ne suis pas un ange. Mais je connais les "anges" auxquels tu penses… Tu veux dire les vieux peuples, c'est ça ?

- Oui, les vieux peuples… J'ai l'impression que vous savez tout ce que je pense et ai pensé ce soir…

- Non, mais je ressens ce que tu as dans la tête, d'une manière générale, qu'il s'agisse de passé, de présent, ou de futur. Je ne te sonde pas, cela émane de toi. Comprends bien cela, je n'essaie pas de te dominer, de te manipuler… Je suis ici par hasard, et si le hasard a voulu que tu y sois aussi, c'est probablement que nous avons quelque chose à nous dire… Je crois que ça a un rapport avec les vieux peuples…

- Cette légende à propos des anges m'intrigue. Je me demande qui sont ces vieux peuples. Je me dis que ça doit être fabuleux de les rencontrer…

- Sache seulement qu'ils existent. Il y a effectivement eu, non pas un, mais quelques peuples qui ont, les premiers, eu la possibilité de se déplacer dans la galaxie.

- Plusieurs peuples se sont développés indépendamment ?

- C'est difficile à dire… D'une part ils ont mis un certain temps avant de se rencontrer, d'autre part le temps ne s'écoule pas de manière uniforme d'un bout à l'autre de la galaxie, il est donc difficile de dire lequel des vieux peuples est apparu le premier. L'époque que nous retenons dans les annales est celle où une dizaine de peuples ont déclaré l'existence d'une communauté galactique.

- Et ils ont effectivement ensemencé la galaxie ?

- Cela aussi est difficile à dire… Il est pratiquement impossible de définir quel a été l'impact des visites interplanétaires, les échanges entre les systèmes stellaires sont multiples. Ce dont nous sommes sûrs, c'est que la vie peut se développer un peu partout, et que l'évolution tend vers l'humain…

- Oui, justement… C'est aussi une question que je me pose… Par rapport à l'humain… Qu'appelez-vous "humain" ? Parce qu'il y a tout de même de sacrées différences… Au niveau de la morphologie, au moins…

- Ah, voilà enfin la question de fond, celle qui t'amène ici… Ce qui est important dans tout ça est la qualité de l'humain. Comment définis-tu l'humanité, jeune Johnny ?

- Ben je ne sais pas… Le langage ?

- Oui, c'est déjà bien. Le verbe est créateur. Mais c'est restrictif. La qualité principale des humains est justement qu'ils sont des êtres créateurs…

- Vous voulez dire les humains de la Terre ou les humains en général ?

- Les humains. En général bien sûr. N'as-tu pas compris, au bout du compte, que justement il n'y a pas de différence entre toi et moi ? Tu viens juste de sortir de ta planète, et il faut que tu comprennes cela. Sur Terre, vous avez du mal à définir la différence entre les humains et les animaux parce que vous êtes uniques. Le fait de connaître d'autres humanités t'amène naturellement à mieux comprendre cette différence. Sur le plan matériel, génétique, tu es beaucoup plus proche des singes de ta planète que de moi, par exemple. Cependant il est évident que dans la nature de ton être, tu es beaucoup plus proche de moi. Nous pouvons communiquer, échanger, nous pourrions construire des choses ensembles. L'originalité de l'humain n'est donc pas à chercher au niveau physique, mais on la trouve en se demandant quel est notre rôle dans l'univers, notre raison d'être… Pose-toi la question.

- Je me la pose, et alors ?

- Nous sommes des êtres créateurs. »

L'homme me regarde fixement, sans me sonder, sans me juger, sans rien attendre. Il laisse seulement son regard, et à travers lui toute son âme, à ma disposition.

 

« Il y a le monde créateur et le monde créé. L'être humain, ce que nos deux cultures appellent ainsi, est exactement entre les deux. C'est ce qui nous lie, la raison pour laquelle toi et moi sommes si proches. L'être humain est un être spirituel. Ce que nous appelons "humain" est tout être qui, par l'évolution génétique de son corps physique, a permis à une entité immatérielle, créatrice, de s'incarner.

- Les autres êtres vivants ne sont-ils pas reliés à une "entité créatrice" ?

- Certains, pas tous, c'est une question d'évolution. Mais l'incarnation dont je parle n'est pas qu'un lien, c'est une interaction. Les êtres humains permettent aux entités créatrices d'agir sur le monde. Vois-tu, Johnny, si tu es venu jusqu'à moi, c'est précisément parce que ton âme a pu te parler, te suggérer l'envie de cette balade nocturne. Parce qu'elle a une vision claire de ta destinée, elle te guide. Quand je te regarde, je ne vois pas qu'un corps, je vois surtout une âme. Ton âme est ce qui anime ton corps, grâce à elle ton comportement n'est pas déterministe. Les humains jouissent du libre-arbitre, ils ont ainsi la faculté d'interagir avec l'univers.

- Et vous êtes venu ici, rien que pour m'expliquer ça ? »

Il rit.

« Je ne suis pas venu, j'étais là, tout simplement. Tu avais des questions pour lesquelles je pouvais te donner quelques indices, je te les donne. D'autant que ce sont des questions importantes…

- Je vous intéresse ?

- Tous les êtres créateurs du monde méritent le plus grand intérêt. Parce que le but de l'univers est la création. Tout ce qui est créé est une possibilité explorée… »

Je suis toujours debout devant ce demi-dieu venu du fin fond de la galaxie, semblant se trouver là juste à point pour me prendre par la main et m'aider à faire un des plus grands pas de ma vie.

Il me regarde avec le même sourire bienveillant qu'arbore en permanence Hermès.

« Viens, ne reste pas debout comme ça, assieds-toi. Profite du spectacle ! »

Et il me montre à la fois le banc et la galaxie qui s'étale devant nous.

Je prends timidement place à côté de lui et plonge mon regard dans le vide intergalactique. J'essaie de voir jusqu'aux étoiles les plus lointaines.

« Vois-tu tous ces mondes, Johnny ? »

Je vois des étoiles. Les planètes autour, j'imagine. Et sur pas mal de planètes, des plantes, des animaux, et des civilisations.

« Et vois-tu toutes ces âmes ? »

Là, non, je ne vois rien. Je me retourne vers lui, avec un air probablement ahuri. Il sourit encore.

Puis il se retourne vers la fenêtre, j'ai l'impression de voir son regard plonger dans le vide, pointer une à une les étoiles. En regardant dans la même direction, je vois partir un large faisceau transparent et turbulent. Le regard se pousse, contourne des obstacles et se pose sur une étoile… pousse un peu… et je vois l'étoile scintiller légèrement. C'est une impression étrange… Le faisceau fouille une autre étoile, elle augmente aussi très furtivement d'intensité.

Je me retourne vers mon voisin quasi-angélique, il continue imperturbablement à sonder la galaxie. Je reviens et essaie de raccrocher la vision, le regard qui part, les étoiles qui scintillent... Mais tout à disparu.

Après encore quelques secondes, le demi-dieu se retourne vers moi, me regarde gentiment.

« Je dois te laisser maintenant, jeune Johnny. »

Bien que je n'aie aucune envie qu'il parte, je reste sans voix.

« Quand tu auras eu le temps de penser un peu à tout ça, reviens me voir, je te parlerai du livre des probabilités… »

Et je reste seul face à l'univers.