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Lire > Chapitre 8 :

8.

Une fois de plus je me réveille dans un lit qui n'est pas le mien, et, cette fois encore, je mets un petit moment avant de retrouver ce qui m'a amené ici, hier soir je n'étais quand même pas très net.

Vania dort un peu plus loin. Dans sa maison, il n'y a pas de pièce, ou il n'y en a qu'une, selon le point de vue. Je suis sur le canapé du salon, son lit est juste dans le fond, derrière un jeu de stores et de rideaux.

Mais c'est une maison, en pleine ville, c'est déjà assez exceptionnel.

Et c'est bien ensoleillé dans la matinée…

Je ne sais pas quelle heure il peut être, nous nous sommes couchés tard, et j'hésite à me lever. Si je me déplace dans la maison je risque de la réveiller, je ne le veux pas.

Nous avons encore discuté quelques dizaines de minutes hier soir, mais on tournait un peu en rond. Vania a tout de même proposé qu'on aille à la bibliothèque pour chercher des bouquins sur le phénomène ovni, histoire de se faire une culture, de ne pas parler dans le vide. Je crois que c'est une bonne idée, qui peut en amener beaucoup d'autres.

J'aime bien Vania. J'ai eu envie de dormir à côté d'elle hier soir, mais je n'ai pas osé. Je ne voulais pas aller au-delà de ses propres désirs. Et je ne voudrais pas, en lui en demandant trop, décourager la bonne volonté d'une fille qui propose à un quasi inconnu de dormir chez elle.

Je la regarde endormie et me dis que ses désirs, au fond, je ne les connais pas. Peut-être aurait-elle bien voulu, elle aussi, que je la prenne dans mes bras.

Probablement parce que je la regarde longuement, elle se réveille.

 

Au début de l'après-midi, nous arrivons à la bibliothèque. Nous n'avons pas pu faire mieux, le temps de presser un jus d'oranges, de papoter un peu en sirotant le café.

Ce n'est pas facile de trouver des informations sur les ovnis. Au début j'étais optimiste, je me suis dirigé directement vers les rayons scientifiques, astronomie. Mais là, rien. Ou plutôt si, un "traité d'exobiologie" auquel je n'ai rien compris et qui m'a semblé hautement spéculatif. Mais rien de concret, pas d'expériences, pas de recherches.

Alors Vania m'a traîné jusqu'à l'accueil pour demander des informations. Ils nous ont indiqué le rayon ésotérisme…

Pourquoi le problème de l'existence d'une vie extraterrestre est-il assimilé à de l'ésotérisme ? Entre les anges et les fantômes, on trouve les petits hommes verts, ce sont les farfadets modernes.

En marchant vers le rayon, je réalise pourquoi je vis comme dans un rêve depuis le début de cette histoire, comme si je rêvais encore, comme si je ne m'étais jamais réveillé. À tel point qu'il m'arrive de m'imaginer dans un coma profond, provoqué par la chute, en train de fantasmer ma vie.

J'ai l'impression de rêver parce que je ne peux pas trouver mes repères dans un monde qui nie en bloc ce que j'ai vécu. Personne n'y croit. L'inconscient collectif pose comme postulat à toute pensée rationnelle que nous sommes seuls dans l'univers. Le reste, c'est de l'ésotérisme…

Il est probable qu'au Moyen Âge, un homme s'est trouvé dans la même position que moi parce qu'il a rencontré des elfes dans la forêt. C'est resté un mythe, mais peut-être existaient-ils vraiment, les elfes, bien que personne n'ait jamais voulu croire ceux qui revenaient de la forêt. Quant à ceux qui ne croyaient pas, ils n'avaient pas le courage d'aller eux-mêmes dans la forêt, ou ils ne voyaient rien, ou encore ils se taisaient par peur du ridicule.

Peut-être les elfes existaient-ils, peut-être même étaient-ils extraterrestres !

Nous arrivons devant la partie "ésotérisme" et Vania se demande par où l'attaquer. Je lui propose de commencer léger, un bouquin plutôt général, qui donne un panorama du problème.

En disant ça, je me demande si c'est possible, si on ne va pas plutôt trouver des récits d'expériences…

À ce moment, une brique s'ajuste dans mon cerveau, je viens de réaliser que je pourrais trouver des points communs entre mon expérience et d'autres, racontées dans ces livres. Je regarde le long rayonnage et me demande combien de temps il me faudra pour lire l'ensemble, ou seulement une partie.

Vania furète déjà dans une étagère, elle lit les titres en penchant la tête, sort de temps en temps un ouvrage pour regarder la couverture, plus exceptionnellement l'intérieur.

Quant à moi je décide de prendre un peu de recul pour voir les sous-classifications, écrites sur les petits autocollants blancs sous chaque rangée de bouquins. Tout en haut d'une des étagères je repère le petit papier sur lequel est écrit "récits de rencontres".

 

Vania est occupée par l'étagère d'en face, mais elle ne semble pas avoir trouvé quoi que ce soit d'intéressant. Je me hisse sur la pointe des pieds pour lire les titres de la rangée la plus haute. C'est un peu court. Et pas un escabeau en vue. Mais comment font-ils dans cette bibliothèque ? C'est à croire qu'ils font exprès de mettre ces livres-là, ceux que je veux, hors de portée.

Il n'y a pas beaucoup de solutions, et avec cette sensation d'une brique qui s'ajuste, je suis obligé de regarder ces bouquins, ceux-là surtout. Je vois le problème comme une épreuve sur mon chemin initiatique.

Je décide donc d'escalader l'étagère pour pouvoir au moins lire les titres des livres, on verra après s'il faut en choisir un et, éventuellement, le parcourir.

Toute personne qui me connaît aurait pressenti un problème à venir. De me voir comme ça suspendu à l'étagère, tous les indicateurs devraient passer au rouge. Mais, dans mon cerveau, ça ne se passe jamais comme ça, parce que je poursuis un but : je veux lire les titres des livres. À partir de là plus rien ne compte.

Je pourrais, à force d'expériences douloureuses, me méfier de tout exploit physique. Mais je n'y arrive pas, probablement parce que les catastrophes que je produis me font plus rire qu'autre chose, avec le recul.

Aujourd'hui, c'est un peu plus grave. Quand je commence à sentir l'étagère vaciller, je pense immédiatement à Vania. J'aurais préféré qu'elle ne me voie pas dans cette situation, mais il est trop tard, elle se retourne déjà vers moi.

« Johnny… Descends de là... Ça ne se fait pas, voyons, de monter comme ça sur les étagères, il faut aller chercher un escabeau. »

Ravi de l'apprendre, je saurai pour la prochaine fois…

Je m'accroche au montant de l'étagère en essayant d'y rester collé, le plus proche possible. Je regarde Vania avec un sourire probablement très niais, fataliste.

 

Après que l'étagère eut bruyamment chu, les documentalistes n'étaient pas en de très bonnes dispositions à notre encontre. Et encore je leur ai juste dit que je m'étais appuyé contre l'étagère, pas que j'avais tenté l'escalade.

Nous sommes donc partis, et nous sommes allés nous asseoir dans le parc en face.

« C'était une bonne idée, je ne dis pas, une sacrée bonne idée même… Mais finalement ça ne nous a rien apporté de bon. C'est un peu de ma faute, il faut dire…

- On n'a pas tout perdu… J'avais trouvé un livre juste avant que l'étagère ne tombe… Je l'ai gardé... »

Et elle sort le bouquin de son sac. Je me précipite dessus pour voir de quoi ça parle. Le titre est sobre, juste "Le phénomène ovni".

Sans me porter attention Vania chausse une paire de lunettes et s'allonge sur l'herbe pour lire. Comme je n'ose pas me coucher à côté d'elle, je me contente de la couverture, et je la regarde, absorbée dans la lecture.

Elle passe rapidement l'introduction, tourne quelques pages au hasard puis file à la table des matières. Alors elle me regarde et commence à me raconter de quoi ça parle en reprenant les titres de chaque chapitre.

Un nom attire mon attention.

« Tu dis "désert d'Atacama" ?

- Oui, c'est ce qui est écrit, ça doit être un coin connu.

- Ça me dit quelque chose… Je crois que…

- Oh, tu l'as peut-être entendu quelque part, moi aussi ça me dit quelque chose, c'est un de ces noms qu'on connaît sans vraiment connaître…

- Non, je crois que je l'ai entendu… Oui, quand je suis sorti de la soucoupe. Le gars qui parlait, c'est ce qu'il a dit "regarde le ciel, va dans le désert d'Atacama"… Ou quelque chose comme ça…

- Quoi ? Qu'est-ce que tu racontes ?

- Quand je suis sorti de la soucoupe, quand ils m'ont ramené dans la clairière, j'entendais une voix parler…

- Et tu me dis ça maintenant !

- C'est-à-dire que sur le coup je ne comprenais rien à ce qu'elle disait, je n'y ai pas fait gaffe. J'étais déjà content qu'ils me lâchent… »

Vania referme le bouquin violemment et se redresse pour me faire face.

« Eh bien voilà, tu sais ce que tu as à faire, ils t'ont proposé d'aller dans ce désert, tu n'as qu'à y aller !

- C'est pas si simple, je ne sais même pas où il se trouve ce désert… Si ça se trouve c'est en Patagonie…

- Si tu crois en ton histoire, je ne vois pas d'autre solution.

- Je ne sais pas… On a un peu fait chou blanc à la bibliothèque, il faudrait peut-être en essayer une autre…

- C'est faux… Tout vient de la bibliothèque. Si nous n'y étions pas allés, je n'aurais pas trouvé ce livre, si tu n'avais pas, brillamment, fait tomber l'étagère, je n'aurais pas pu te le lire sur cette pelouse, et si je ne t'avais pas lu le nom des chapitres tu ne te serais pas rappelé les mots que la voix a prononcés… Nous avons trouvé ce que nous cherchions aujourd'hui, inutile de le nier… »

 

Oui, elle a raison Vania, on a trouvé ce qu'on était venu chercher. Cette fille a souvent raison.

N'empêche, il y a quand même quelques problèmes d'ordre matériel. Je me suis renseigné, Atacama c'est aussi loin que la Patagonie, autant dire pas la porte à côté, et, dans les agences de voyages, ce n'est pas donné, largement au-delà de mes moyens.

Bien sûr je peux vendre quelques plantes. Mais ce n'est pas le genre de choses que je fais d'habitude. Et puis il y a des risques. Non, je ne peux pas compter là-dessus, il faudrait que je travaille régulièrement pendant un an ou deux pour me payer un voyage comme ça.

Qu'est-ce qu'un gars comme moi peut faire dans cette situation ? Dans ce monde commerçant, où personne ne se soucie le moins du monde de l'éventuelle présence d'êtres venus d'une autre planète, comment peut-on faire ?

Une fois de plus, l'idée me vient de tirer une croix sur toute cette histoire, de l'oublier pour reprendre ma vie d'avant, certes moins exaltante, mais beaucoup plus simple, mon dieu, tellement plus simple. Mais je sais que ça ne tiendrait pas, que je ne pourrais pas.

J'habite encore chez Vania, je suis bien ici. Je me sens sur le départ, comme si j'avais commencé une action, temporairement en attente, mais temporairement seulement.

Exactement comme dans la salle d'embarquement d'un aéroport, juste avant le départ, pas encore parti mais déjà absent d'ici, déjà dans un autre monde.

Dans la journée, elle va travailler, à la fac ou pour gagner sa vie, je reste seul pour tenir la maison. Pour me rendre utile, je mets un point d'honneur à faire la vaisselle et le ménage, quelquefois la cuisine. Tout ce que je peux sauf le repassage, auquel je ne me suis jamais fait.

Vania ne semble pas être gênée par ma présence, elle répète sans cesse que je peux rester tant que je veux.

Par contre, je ne lui parle plus beaucoup de mes problèmes. À un moment elle s'est beaucoup impliquée pour m'aider à trouver des solutions, maintenant j'essaie de me débrouiller seul, pour ne pas dépendre totalement d'elle, pour lui prouver que je peux, moi aussi, trouver quelques solutions.

 

Ce midi elle rentre gaiement dans la maison. Elle sort de son travail, et n'a pas beaucoup de temps pour manger, alors je lui ai préparé une petite salade. Je suis en train de la finir.

« Salut Johnny, ça boume ?

- Oui, oui, et toi ? Tu as un peu le temps ?

- Non, comme d'habitude, juste une heure… Mais c'est bon si tu as préparé quelque chose…

- C'est prêt ! »

Nous nous asseyons et je la sers largement. Elle me regarde avec un air un peu malicieux. Je fais le galant, c'est vrai, mais il n'y a pas que ça.

« Où en es-tu avec Atacama ?

- Comment ça "avec Atacama", ça veut dire quoi exactement ?

- Je ne sais pas… Où en es-tu ? C'est tout... Qu'est-ce que tu as trouvé ? Comment comptes-tu t'y rendre ? As-tu trouvé de l'argent pour le voyage ? Toutes ces choses-là... Ou peut-être as-tu abandonné ?

- Non, non, je n'ai pas abandonné… J'y réfléchis…

- D'accord tu y réfléchis, je veux bien. Mais dans quelle direction réfléchis-tu ? À quel point es-tu arrivé ?… Tu sais, je peux poser des questions jusqu'à ce que tu dises quelque chose… Tu ne veux plus en parler ?

- Non, non, Vania, ce n'est pas ça. J'ai eu bien raison de t'en parler jusqu'ici… Non, mais j'essaie de me débrouiller tout seul aussi… Je ne vais pas toujours compter sur tes conseils…

- Ce n'est pas un problème Johnny, vraiment. Pas un problème du tout… Je t'aime bien comme tu es, un peu paumé… Et dans ce cas je comprends qu'on puisse être paumé…

- Ouais, bon, j'en suis pas très loin en fait… Je ne vois pas comment me payer ce voyage, c'est vachement cher…

- Je peux te donner un tuyau ?

- Oui, vas-y, donne. De toute manière je n'ai pas la queue d'une idée…

- Eh bien, pour résumer, le tuyau c'est : si l'avion est trop cher, change de moyen de locomotion…

- Oui, d'accord, mais par exemple en pédalo, ça me prendra un certain temps…

- Non, ne déconne pas, c'est sérieux. J'ai un pote de la fac qui fait de la voile… Il paraît que… »

Je la coupe, un peu trop énervé :

« Mais j'ai pas de bateau moi ! Et c'est gros à voler… Un pédalo encore, c'est dans mes moyens, mais un bateau…

- Écoute-moi un peu s'il te plaît. Il paraît qu'on peut trouver des bateaux qui partent pour à peu près n'importe où…

- Comment ça ? Tu vois un bateau qui part et tu demandes de partir avec ? Tout simplement ?

- Non ! Il y a des gens qui cherchent des équipiers parce qu'ils ne peuvent pas faire la traversée en solo. En gros, ils t'échangent le transport contre ton aide sur le bateau.

- Mais je n'y connais rien, moi, en bateau… Je ne vois vraiment pas pourquoi un gars voudrait que je vienne l'aider.

- Pour hisser une voile il ne faut pas s'y connaître, il faut juste tirer… Et de toute manière c'est une piste, ce n'est pas une solution toute cuite… »

Je me rends compte que ma résistance est stupide, inutile. La fierté conduit souvent à la stupidité…

« Ouais, tu as raison, il faudrait que je me renseigne là-dessus.

- Mon pote m'a donné l'adresse d'un site sur lequel il y a des annonces. Il faudrait que tu trouves une connexion quelque part, tu peux venir à la fac si tu veux.

- Ok pour la fac, j'aime bien les facs. Je peux venir cet après-midi ? »

Oui, je peux y aller cet après-midi, juste le temps de finir de manger.