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Lire > Chapitre 23 :

23.

Pendant quelques jours, j'ai encore espéré trouver le transmetteur quelque part. J'ai espéré m'être trompé, que cette histoire de poubelle soit une pure invention de mon cerveau malade.

Mais il n'est pas réapparu. Coupé de la seule chose intéressante à mes yeux, j'ai commencé à dépérir.

À nouveau enfermé dans une vie terrestre, je n'ai plus goût à rien. Si tant est que j'aie déjà eu, par le passé, le goût à quelque chose.

Non, décidément, la seule chose qui aura éclairé mon existence restera ces mois passés à tenter d'assimiler la notion d'humanité galactique…

J'ai pensé repartir au Chili. Peut-être qu'en me voyant arriver dans la zone, Hermès comprendra que j'ai perdu le transmetteur… Je porte toujours le traceur qu'il m'a implanté la première fois, mais je ne sais pas s'il s'en sert encore.

Et j'ai pensé à une foule d'autres choses, stupides ou non. Je pourrais faire passer un communiqué ésotérique, dans l'espoir qu'un corps expéditionnaire exo-terrien le repère. Je pourrais écrire un livre, parler sur les places publiques…

Je pourrais tout aussi bien oublier et attendre de voir.

Du matin au soir, je traîne dans l'appartement de Vania. Je m'occupe toujours des courses, de la cuisine et du ménage, pendant qu'elle travaille, mais je le fais machinalement, sans même avoir encore envie de lui faire plaisir.

De son côté, elle supporte de moins en moins la situation. Au début elle a essayé de me rassurer, de me dire qu'Hermès saura bien nous contacter, qu'il n'y a qu'à attendre.

Puis quand elle a vu que rien n'y faisait, que je déprimais par principe et non malgré moi, elle est devenue plus critique, voir plus agressive.

Je l'ai regardé s'éloigner sans faire mine de la retenir. Au point où j'en étais, il me semblait que, fatalement, tout devait se dérégler en même temps.

La galaxie, Hermès, Vania, tout doit partir, et moi-même au final.

 

Il y a trois jours, je lui ai annoncé que je devais aller chez Gérard, voir l’état de mes plantations. Elle n'a pas semblé affectée, peut-être même était-elle soulagée. J'y suis allé, j'en reviens ce soir.

En arrivant au bout de la rue, je me demande quel accueil elle va m'accorder. Voyager, voir le paysage défiler, m'a un peu remonté le moral. Mais elle, je l'ai sentie infiniment loin de moi.

En fait, je me suis retrouvé un peu comme au début de mon aventure. J’ai discuté avec Gérard comme si rien ne s'était passé, nous avons à peine abordé le sujet. Il a toujours été convaincu que ce n'étaient que des « fadaises », je ne l'ai pas contredit.

C'est un peu comme si tout avait effectivement disparu. Plus d'Hermès, plus de Vania, la vie ordinaire, papoter avec Gérard, tailler les plantes, essayer de trouver un boulot saisonnier pour cet été.

Mais en revenant j'ai tout de même pris la direction de chez elle, sans même y penser. Pourtant, je me souviens vaguement que, par le passé, j'ai eu un appartement.

 

Je frappe à la porte pour m'annoncer et j'entre directement. Elle est dans le salon, à cette heure elle vient juste de rentrer.

Je ne peux empêcher mon regard de fuir vers le sol, puis dans les coins, là où je dépose mes affaires. Je la salue, mais n'entends aucune réponse. Alors je dois bien la regarder en face.

Elle sourit gentiment. Elle n'est pas exubérante, elle est calme, elle me regarde seulement avec bienveillance, et en souriant.

Je dois avoir l'air très étonné parce que ses lèvres se fendent un peu plus.

 

Elle ne me facilite pas la tâche. Elle reste muette, continue de me regarder, attend que j'ouvre la bouche, que je demande quelque chose, ou je ne sais quoi d'autre. Mais ça ne m'arrange pas, parce que je ne sais pas quoi dire, et je n'arrive pas à saisir son état d'esprit.

Avant de passer la porte, je m'attendais plus ou moins à ce qu'elle hurle, qu'elle me fiche dehors. Alors la voir avec ce petit sourire, presque narquois, ça me dépasse largement.

À mon avis, quoi qu'il en soit, quelle qu'en soit la cause, sa bonne humeur ne peut être que fragile. Alors je me méfie. Je ne dois surtout pas être agressif, surtout pas méchant, surtout pas hautain.

« Eh bien, ça fait plaisir de te voir de bonne humeur...

- Oh, tu sais, c'est toi qui étais de mauvaise humeur, ces derniers temps... Ce n'était pas moi...

- Ah parce que toi tu ne trouves pas que c'est désespérant d'avoir perdu le transmetteur ? »

Là je commence à être un peu agressif, je n'y peux rien. Mais ça va, elle le prend plutôt bien, elle ne part pas au quart de tour.

« Non. Je te l'ai expliqué. Je pense que si Hermès nous a trouvés une fois, il pourra bien nous trouver une seconde fois...

- À moins qu'il ne s'en préoccupe plus, qu'il soit vexé de ma négligence, ou que sais-je encore...

- Oui, c'est sûr, on peut toujours être pessimiste...

- Je ne suis pas pessimiste, je suis inquiet... Et je me sens coupable aussi...

- Tiens, pour changer de sujet, tu as reçu une lettre... Enfin, nous avons reçu une lettre. Je me suis permis de l'ouvrir puisque mon nom est aussi écrit sur l'enveloppe. »

Elle me tend une enveloppe marron.

Je suis très étonné que nos deux noms y figurent. Qui peut bien nous connaître tous les deux et nous envoyer un courrier ?

Dans un coin de mon cerveau la figure d'Hermès s'illumine, il est la seule connaissance que j'aie en commun avec Vania.

Mais c'est trop profond, trop dans la pénombre, avec tout ce qui s'est passé, et que j'ai occulté, depuis quelque temps. Je le vois, mais l'image effleure à peine ma conscience puis repart dans les limbes.

L'enveloppe est un peu épaisse et semble contenir un objet solide, pas seulement du papier. Je tâte d'abord, avant de plonger la main dans l'ouverture déchirée.

Le sourire de Vania s'agrandit de plus en plus et je commence à penser à un cadeau, elle a dû inventer cette histoire d'enveloppe pour ménager le suspens.

Dans l'enveloppe, il y a une petite clef et une lettre dactylographiée. Je sors le tout en interrogeant Vania du regard. Elle soutient mon regard un instant, puis, comme si vraiment je ne comprenais rien, elle fait un petit mouvement de tête pour me signifier de jeter un oeil sur la lettre.

Et, une fois de plus, elle a raison, elle est la voix même de la raison. En haut de la lettre il y a quelques caractères que je ne comprends pas du tout, à côté apparaît en toutes lettres le prénom d'Hermès.

Je me fige, j'ai l'impression que ma main et tous mes membres vont se mettre à trembler, que le sol bouge, que je vais décoller.

Mais plutôt que tout ça, je préfère me laisser tomber sur le canapé à côté de Vania. Je parcours rapidement la lettre, qui ne dit rien de particulier, seulement une adresse à laquelle correspond la clef, et une invitation à se rendre là-bas.

Quand j'ai fini de lire, je reste là, pensif, la lettre à la main. Vania me regarde, son sourire est parti, elle a maintenant l'air de dire, presque tristement : « Tu vois, je te l'avais bien dit, il était inutile de se miner... »

Toutes les tensions accumulées depuis ce jour maudit où j'ai jeté le transmetteur remontent d'un coup. Je sens l'émotion arriver, passer la gorge, la nouer, monter un peu plus haut, arriver à la racine d'un canal lacrymal, l'escalader en une fraction de seconde, et jaillir au coin de mes yeux.

Vania a suivi le phénomène, elle me regarde avec compassion. Je me jette dans les bras qu'elle vient de m'entrouvrir et pleure à grosses gouttes, la tête enfouie entre ses seins.

Je ne sais pas si je pleure de joie, d'avoir bêtement déprimé, ou de me souvenir que je l'aime plus que tout.

 

Le lendemain, nous décidons dès le réveil d'aller à l'adresse indiquée sur la lettre. Vania est de nouveau mon idole, je la suis sans discuter. C'est elle qui a décrété qu'il valait mieux y aller de suite, pour me rassurer, pour jeter dans l'antre des mauvais souvenirs mes angoisses des dernières semaines.

Nous marchons vite, presque sans parler, ou le minimum nécessaire.

Le quartier est assez chaotique, les habitations, les entrepôts et les bureaux se mélangent allègrement, il y a même un petit marché, le tout dans une agitation frénétique.

Arrivés devant le numéro indiqué sur la lettre d'Hermès, nous avons du mal à discerner la porte derrière l'étal d'un marchand de légumes. Nous nous glissons sur le côté, et Vania tape le code sur un vieux clavier défoncé.

La porte s'ouvre, premier succès. Après un trajet rempli de questions muettes, c'est agréable.

Nous devons encore franchir le porche, aller jusqu’à un escalier au fond de la cour, derrière un deuxième porche, mais tout est écrit dans la lettre, il n'y a qu'à suivre les indications.

Une troupe de jeunes désespère devant la porte de l'escalier.

« Vous cherchez quelque chose ?

- Non merci, réponds-je poliment. J'ai tout ce qu'il me faut… »

Sept étages sans ascenseur, et nous arrivons dans un interminable couloir. On ne pourrait jamais imaginer, depuis cette rue agitée, qu'il soit possible d'aller aussi loin. Il y a tout un monde derrière les portes closes.

Le couloir sinue selon un trajet improbable, il suit les courbes de je ne sais quoi, tourne à angle droit, puis part tout droit à perte de vue.

Les portes défilent, Vania lit les numéros, la lettre d'Hermès en main.

Moi, je suis Vania, et je m'amuse à relever tout ce que je vois, les décorations des portes, les dalles manquantes sur le sol, un robinet qui fuit…

 

Quand elle s'arrête brusquement devant le numéro 371, je suis en train de me retourner pour voir sur quoi donne une petite fenêtre. Je manque lui rentrer dedans, heureusement, elle a poussé un petit « Haaa… » juste avant, ça m’a laissé le temps de tourner la tête et de freiner.

C'est moi qui ai la clef et je ne me prive pas du plaisir de m'en servir. En arrière plan, je vois passer l'idée qu'il doit être un peu frustrant pour Vania d'avoir assumé seule le trajet, et de se voir griller l'honneur d'ouvrir la porte. Alors je la laisse entrer en premier.

C'est une chambre simple, presque sans meubles. On pourrait se croire dans un hôtel bon marché. Un lit, une table de chevet, une chaise et une télé posée sur la table basse.

Nous fermons la porte et nous asseyons sur le lit. La lettre dit qu'il faut mettre la télé en marche, sur la chaîne 31, et attendre. Je regarde le vieux poste inanimé. Je n'ose pas encore me lever et appuyer sur le bouton. Je me tourne vers Vania pour partager la question.

« On est prêt, là ?

- Euh… Je ne sais pas exactement. Tu te sens prêt toi ?

- Ben, c'est simple quand même, il suffit d'appuyer sur le bouton…

- Qu'est-ce qu'on lui dit ?

- Ah ?… Oui, c'est vrai, faut pas lui faire perdre son temps…

- C'est pour ça, il vaut mieux se préparer un peu, passer en revue ce qu'on a à dire.

- Ouaip… Ben ça me désole, mais faudrait commencer par lui dire que j'ai paumé le transmetteur.

- Ne sois pas désolé… Tu sais, je crois qu'il est déjà au courant, il n'a pas envoyé cette lettre par hasard…

- Je ne sais pas, peut-être… En tout cas je dois commencer par ça, assumer la gaffe.

- Si tu veux… Et après ?

- Eh bien… De toute manière la seule chose qu'on a vraiment à lui demander c'est quand on se revoit… On n'a qu'à lui dire qu'on se pose des questions à propos de notre rôle… Tout ce qu'on se disait le matin où, justement, j'ai paumé le transmetteur.

- Tu te demandais si nous devions agir, c'est ça ?

- Oui… Plus généralement ce que nous devons faire, quel est notre rôle. Je pense que ça résume bien… Mais ne t'inquiète pas, après avoir perdu le contact pendant deux semaines, je pense qu'il comprendra que nous voulions lui parler…

- D'accord… Si tu le dis… Mais moi j'aime autant réviser un peu, je ne veux pas rester muette… Et je sais que ça va encore me faire un choc de parler à un extraterrestre…

- Un exo-terrien…

- Oui, si tu veux, un "exo-terrien"… Mais qu'est-ce que c'est que cette lubie encore ?

- Je trouve que c'est mieux en changeant de terme… Tu vois, il n'y a aucun rapport entre ce que je vis maintenant avec Hermès et ce que je désignais avant sous le terme "extraterrestre"… Alors il vaut mieux changer de terme, parce que ça ne désigne pas la même idée… »

Vania me regarde longuement. J'ai dû la suivre trop aveuglément depuis ce matin, elle est étonnée que je puisse encore formuler une pensée cohérente.

Bien que ça me fasse plaisir de voir passer une lueur d'estime dans son regard, je poursuis comme si de rien n'était.

« C'est bon maintenant ? On peut y aller ?

- Oui… Je suppose… Au pire je te laisserai parler, puisque tu as l'air si sûr de toi…

- D'accord… Mais ne le prend pas mal… C'est normal que, des fois, rarement, je sois plus sûr que toi…

- Probablement… Mais tu étais tellement absent depuis ce matin… C'est un peu surprenant…

- Oh, excuse-moi mon amour… Je ne veux pas te blesser… »

Le "mon amour" est sorti tout seul, sans que j'y prenne garde, ça me trottait dans la tête depuis un moment déjà… Je la prends dans mes bras et l'embrasse dans le cou, pour confirmer.

« Bon, allez… Vas-y maintenant… Puisque tu es réveillé… Dit-elle en me repoussant doucement.

- Ben c'est exactement ça : je suis réveillé… Tu vois, c'est l'impression que j'ai, là, maintenant… J'étais tout de même assez déprimé jusqu'à hier soir, et je crois que depuis le moment où tu m'as donné la lettre, je n'ai attendu que d'arriver ici. J'étais encore en sommeil… Maintenant qu'on est devant cette télé, et qu'on n'a plus qu'à appuyer sur les boutons pour voir Hermès apparaître, je sais que l'aventure va recommencer, qu'il va à nouveau y avoir plein de couleurs dans ma vie, que ça va bouger, qu'il va falloir avancer, comprendre ce qui se passe, s'adapter à de nouvelles situations… Tu comprends, mon amour, j'ai envie de vivre, de vivre vraiment… Sans cette aventure je ne fais que survivre, rentrer chaque jour dans la case sale que la société m'a donnée, aller chercher à manger, consommer, faire tourner la machine, perdre un à un tous mes neurones dans les rayons des supermarchés…

- Décidément… Tu es en verve… Mais c'est vrai que je te préfère comme tu es là, vivant, plutôt que déprimé comme la semaine dernière… »

Une seconde, le silence plane entre nos yeux, puis d'un commun accord, muet, nous revenons à nos affaires. Que dit la lettre ?

« Appuyez sur le bouton "marche/arrêt" puis sur 3 et 1, puis attendez. »

Mettre en marche puis mettre la chaîne 31, facile. Je me lève pour exécuter le rituel, j'espère que j'y reviendrai souvent, que ce n'est que le début.

C'est un vieux poste, il n'y a que neufs boutons. Pas de chaîne 31.

« Y'a pas de chaîne 31…

- Comment ça, y'a pas de chaîne ?

- Ben je sais pas comment on peut aller sur la chaîne 31…

- C'est écrit "appuyez sur le bouton marche/arrêt, puis sur 3 et 1"… »

Machinalement j'ai déjà essayé tous les boutons, il y a de la neige partout.

« Ah, tu veux dire que j'appuie sur 3 puis 1, et j'ai la chaîne 31… Je ne sais pas si ça marche… »

Ça ne marche pas. Il y a toujours de la neige. Je commence à m'intéresser aux autres boutons, j'appuie ou tourne tout ce qui s'appuie ou se tourne.

« Éteins le poste…

- Quoi ?

- Éteins le poste… Je crois que tu n'arriveras à rien comme ça…

- Pourquoi ?

- Eh bien, je crois qu'il faut faire exactement ce qui est dit : appuyer sur les boutons marche, 3 et 1, sans rien de plus. Il n'est pas question de chaîne 31… »

Effectivement, c'est limpide. J'éteins donc le poste, laisse reposer quelques secondes, puis le rallume et appuie sur les boutons, dans l'ordre, sans rien de plus…

Il ne neige plus. L'écran est uniformément noir. Sauf, quand on regarde bien, un minuscule point rouge au milieu.

Je viens rejoindre Vania sur le lit. Nous restons tous les deux à attendre, à fixer la télé noire, et le petit point rouge qu'on finit par ne plus voir, à force de le fixer.

« Tu crois qu'il faut attendre longtemps ?

- Euh… J'en sais absolument rien… Y'a rien d'autre sur la lettre ?

- Non… Juste "attendez"…

- Ben faut attendre… »

La télé reste obstinément noire, avec toujours le point rouge qui se balade. Nous nous regardons et je passe mon bras derrière son dos pour l'attirer contre moi.

« Tout à l'heure tu as dit deux fois "mon amour"…, murmure-t-elle.

- Oui, ça m'est venu comme ça… Excuse-moi de partir là-dessus si c'est pas ce que t'as dans la tête… Mais, de mon côté, ça fait un moment que c'est le mot qui me vient à l'esprit quand je pense à toi…

- Non, ne t'excuse pas… Il fallait bien qu'un jour on en vienne à parler d'amour, ça fait déjà un bon moment qu'on vit ensemble. C'est même assez étonnant que ça ne soit pas venu plus tôt… »

Après ça, nous nous sommes un peu désintéressés de la télé, toujours aussi noire. Nous sommes partis en arrière sur le lit.

 

Un quart d'heure plus tard, j'ai remarqué qu'il y avait une lumière étrange dans la chambre. Je crois que je m'étais déjà posé la question quelques minutes auparavant, mais la réponse ne m'intéressait pas tellement.

Pour l’heure il y a une petite pause, nous reprenons nos esprits, nous revenons dans la chambre, sur terre, et nous nous rappelons peu à peu que la télé est allumée.

Je me souviens clairement que, avant de basculer dans un déferlement de câlins, nous attendions sagement l'apparition de notre ami Hermès dans le poste, par magie exo-terrienne.

Je me relève sur le coude pour voir ce qu'il se passe sur l'écran. Il est allumé, c'est-à-dire qu’il y a de la lumière partout sur l’écran, plus seulement ce damné point rouge.

Vania, qui s'est aussi relevée, pousse un cri et se réfugie au bout du lit, essaie de rentrer sous les draps.

Je dois bien reconnaître qu'elle a de quoi être surprise : on voit sur l'écran au moins dix personnes qui nous regardent en souriant, et Hermès là au milieu, le plus souriant de tous.

Mais ça se délite rapidement, ils partent un à un, comme à regrets, seul Hermès reste.

Vania hurle :

« Hermès ! Je n'aurais jamais cru ça te toi ! Comment avez-vous pu rester comme ça, à nous regarder sans dire un mot ? »

Sur l'écran, je vois Hermès agiter les lèvres, puis montrer alternativement sa bouche et son oreille, avec un air d'impuissance totale, mais de parfaite honnêteté.

Je me penche pour remonter le son et sa voix enfle jusqu’à être tonitruante. Je baisse un peu.

« Ah… Voilà… C'est mieux comme ça. Vous aviez baissé le son ! Nous ne pouvions pas vous avertir de notre présence…

- Mais vous auriez pu partir, je ne sais pas moi, ne pas regarder, juste qu'il en reste un pour nous avertir dès que possible…

- Allons Vania, ce n'est pas grave…

- Comment ça, ce n'est pas grave ? Vous étiez tous là en train de me mater sans rien dire ! Comment vais-je faire pour me présenter devant vous maintenant ?

- Vania, n'oublie pas que nous ne sommes pas de votre planète, nous avons un regard d'ethnologues. Honnêtement, nous ne pouvions pas laisser passer cette occasion d'observer à l'improviste le comportement de deux humains qui se manifestent leur amour. Nous avons beaucoup appris, vos films ne donnent pas du tout une image fidèle de la chose…

- Ce n'est pas une raison, c'est une question de pudeur, de respect…

- Nous te respectons infiniment, Vania. Je te promets que tous ceux qui étaient là avaient des raisons scientifiques, et qu'ils ne diffuseront aucune image, ni même n'évoqueront ce qui s'est passé avec quiconque. »

J'admire le calme avec lequel il la rassure. Ses mots arrivent sur elle comme des vagues de miel, pansent ses plaies, l'enveloppent entièrement de leurs ailes tièdes.

« Le mal est fait de toute façon, répond-elle, dans un souffle, à court d’arguments.

- Tu n'as vraiment aucune raison de t'inquiéter. C'est un incident malheureux, il est déjà oublié… Et de plus, tu n'as vraiment pas à rougir de ce que tu nous as laissé voir… »

Elle rougit intégralement et remonte le drap jusqu'au-dessus de sa tête.

« Oh non… gémit-elle.

- Bon, mes amis, reprend Hermès en souriant, je n'ai plus beaucoup de temps, nous avons déjà chamboulé pas mal de plannings en vous attendant. Johnny, je te prie de bien vouloir continuer à rassurer ton amie après cette communication, il ne faut pas que vous restiez sur une impression de gêne. Il n'y a vraiment pas de quoi, comprenez que nous n'avons pas les mêmes pulsions que vous.

- Oui, bien sûr, ne t'inquiète pas, nous en reparlerons tous les deux… Je crois que je comprends un peu ce que tu dis…

- Bon, très bien. Alors allons droit au but : je sais que vous avez perdu le transmetteur, ce n'est pas très grave, il ne peut fonctionner s'il est éloigné de toi, Johnny… »

Ah oui, tiens. Je n'avais même pas pensé à ça. Quelqu'un d'autre aurait pu s'en servir. Je garde cette pensée pour moi et essaie de paraître soulagé.

« Comment peut-il faire ça ?

- Il est relié au traceur que tu portes, s'il est trop éloigné, il ne peut pas fonctionner. Nous prenons beaucoup de précautions, il faut que tu le comprennes aussi. Donc je vous ai envoyé ce courrier pour garder le contact. Et je voulais vous dire que je serai dans votre ville la semaine prochaine. »

À cette nouvelle, Vania sort la tête de sous les draps et tente un maigre sourire. Hermès lui rend le sourire avec un hochement de tête satisfait.

« Je crois que le mieux est que je vienne vous retrouver à l'adresse où j'ai envoyé le courrier. Et puis nous verrons ce que nous ferons, j'aurai toute la soirée à vous consacrer…

- Génial ! Nous avons encore une foule de questions à te poser.

- Justement, pour une fois, j'aimerais que vous me parliez un peu de vous et de votre culture. Mais je répondrai aussi à vos questions, bien sûr. Au revoir les amis, à bientôt, et je te le répète Vania, oublie cette histoire. »

La télé redevient noire sans autre préavis.