La Vaisselle Johnny Milou Carnets de notes Chants d'au-delà les Océans L'auteur Textes courts et humeurs Accueil de l'Océanique L'auteur
Présentation
 
Lire en ligne
Télécharger le livre (pdf)
Lettres ummites
Les discours d'Hermes
Démarches auprès des éditeurs
Page de liens
Images du livre et du site
Vos commentaires...
Lire > Chapitre 3 :

3.

Je reprends conscience, doucement, dans une pièce qui me semble très claire. Alors que mes yeux ne sont pas encore ouverts, je vois la lumière filtrer au travers de mes paupières, comme si j'étais en plein soleil. D'ailleurs, je ressens la chaleur d'un soleil d'été sur ma peau.

Je suis fatigué, très fatigué. Je ne sais pas où je suis, je n'ai que de vagues souvenirs de ce qui s'est passé avant. Quand déjà ?

Je me rendors.

 

Je dois être dans une ambulance, quelqu'un a dû me voir étendu sur la route après que les trois jeunes m'aient ravagé. Mais il y a un truc qui ne colle pas. Je n'étais pas parti voir quelque chose dans la campagne ?

Je me rendors.

 

Je suis dans la maison, en haut de la colline. J'ai dû tomber de sommeil au milieu de la cour et me voilà maintenant endormi en plein soleil. Mais pourquoi, à la fin, suis-je aussi fatigué ?

Je me rendors.

 

De plus en plus clairement je me souviens que j'ai quitté la maison sur la colline. Pourquoi ?

Je suis descendu dans la vallée du côté opposé à la route. Il n'y avait pourtant rien de bon à aller voir dans ce coin. Il y avait des bruits et des lumières, comme sur un chantier. Ce n'est pas encore tout à fait clair cette histoire.

Je me rendors.

 

Une porte s'ouvre, quelqu'un entre et marche dans la pièce. Les pas résonnent sobrement, sans excès. La personne pose doucement une main sur mon front et repositionne mon bras, qui a dû chuter.

Je me sens plutôt bien, en sécurité, on prend soin de moi. Je continue de sentir la douce chaleur du soleil qui inonde mon corps.

Je suis bien, calme. Je n'ai pas envie d'ouvrir les yeux. Je n'ai pas envie de faire des efforts pour me souvenir de ce qui s'est passé après la maison sur la colline. Tout ça est tellement loin, tellement sombre. Pourquoi donc aurais-je envie de m'en souvenir alors que je suis si calme ?

Je me rendors.

 

Il y a plein de gens autour de moi. J'entends des pas. Ils semblent bouger sans un mot. Je dis "ils" parce que je ne sais pas qui est là. Probablement une équipe de médecins. Je me souviens que je suis tombé… J'étais sur un rocher…

On me soulève le bras et on me fait une piqûre. Ça me fait chaud juste en dessous du coude. Je sens la chaleur qui remonte dans mon bras, qui parcourt mes artères. À chaque battement de mon cœur, ça avance subitement, s'immobilise et reflue un peu. Et puis ça avance encore. Ça arrive dans le cœur et ça fait comme une grosse boule de chaleur. Ça enfle, ça enfle. Et ça repart, dans un gigantesque battement. Un battement plus ample. Et la chaleur se répand encore plus vite dans toutes les directions. Vers le bas du corps, vers l'autre bras, dans ma nuque…

Lumière !

Mon corps entier se raidit, se tend, et j'ouvre les yeux. Je ne sais pas pourquoi je ne l'ai pas fait avant, des paupières probablement trop lourdes.

Quel éclat ! Quelle étincelle, furtive, fugitive. Je suis réveillé, mais je referme doucement les yeux pour laisser la chaleur aller et venir dans mon corps.

 

Dans la pièce, la lumière n'est pas si vive que je l'ai pensé en me réveillant, mais tout est blanc, sans angle saillant. Il y a quelques blocs qui pourraient être des meubles, ils sont blancs aussi mais avec une très légère nuance dorée.

Je suis allongé sur un matelas souple à environ un mètre du sol. Je suis détendu maintenant. Je sens tous mes muscles et, dans l'ensemble, ça à l'air de bien fonctionner. Pas de blessures, même un sentiment agréable, comme un matin de grasse matinée. Je tourne la tête à droite et à gauche sans bouger le reste du corps, encore trop agréablement posé sur le lit.

Je me souviens de tout maintenant. Les lumières dans la forêt, les rochers, la tige noire, les gars qui entraient dans cette trappe ronde. Et ma chute.

Je regarde mes bras : je porte la même veste que tout à l'heure. Je tâte ma poitrine : ma chemise est là aussi, et mon paquet de tabac est revenu dans ma poche.

Plus confusément je me souviens d'avoir pensé à des extraterrestres, mais c'était très furtif. J'ai autant de chances de tomber sur des extraterrestres que de gagner à la loterie, autant dire aucune. D'autres peut-être, mais pas moi, ça ne se serait jamais vu.

J'écarte donc l'hypothèse extraterrestre, reste la mafia ou les services secrets. Je jette encore quelques regards dans la petite pièce blanche, et ça me convint de l'inadéquation flagrante avec l'hypothèse mafia. C'est trop blanc, ça ne fait pas du tout mafia. De toute évidence je suis aux mains d'un groupe ultra secret proche du gouvernement. Ultra-moderne. Mais quand même, les gars m'ont remis mon paquet de tabac dans la poche !

Je ne l'avais pas remarqué auparavant, mais il y a aussi une odeur très agréable dans l'air. On respire bien. Un peu comme si, dans cette petite pièce, il y avait la brise légère d'une plage tropicale.

Je me secoue les jambes et les bras, je m'étire. Puis, facilement, je me mets sur le côté et bascule pour m'asseoir sur le lit. Je respire un grand coup, prêt à sauter sur le sol. Mes pieds se balancent déjà sous le lit, sans entraves. J'ai juste le temps de constater qu'ils sont nus.

« Bonjour, Johnny. »

Je ne sais pas d'où est sortie la voix. Je ne localise pas. Elle est grave, chaleureuse. Je réponds à tout hasard.

« Bonjour… »

Silence.

« Sais-tu où tu te trouves ?

- Euh… non. »

Re-silence.

« Te souviens-tu de ce qui t'est arrivé ?

- Oui, je suis tombé. Il y avait des hommes qui déménageaient quelque chose… Je regardais malgré moi, je passais juste par là. Je vous assure que je ne voulais pas espionner. D'ailleurs je n'ai rien vu… Rien du tout ! »

Ça ressemble tout de même à un interrogatoire. Dans quelle histoire tordue ai-je encore été me fourrer ? Je n'en loupe pas une !

Je ne sais pas ce qu'ils vont me faire mais ça ne sera pas joli, c'est sûr. À ce qu'on dit, les services secrets, ils ne s'embêtent pas, soit tu deviens l'un des leurs, soit ils te liquident. Pour moi ça reviendrait au même vu que, en tant qu'espion, je ne me donne pas dix minutes d'espérance de vie. Si ce n'est pas un adversaire qui me tue, je trouverai le moyen de me faire péter un gadget à la figure…

« Tu peux être rassuré, nous ne te voulons aucun mal. »

Oui, c'est ça. À d'autres. C'est toujours ce qu'ils disent : « Ayez confiance. » Et après, tac, ils te massacrent sans que tu t'en aperçoives. Je ne les connais pas personnellement ces gars-là, mais j'en ai entendu parler. Des vrais vicieux. Et puis d'abord ça se voit tant que j'ai les jetons ?

« Tu peux nous faire confiance. Si nous avions voulu te tuer nous ne t'aurions pas soigné. Figure-toi que ta chute était plutôt mauvaise : tu es tombé la tête en avant. »

Reste donc la solution "devenir un espion". Ça se confirme.

« Écoutez, euh… Je ne pourrais pas travailler avec vous, je ne suis pas à la hauteur... Sincèrement… Ce… Ce n'est pas pour vous contrarier, mais vous vous trompez sur mon compte... Je vous dis que j'étais là par hasard. Euh… Je ne sais pas moi, vous devez me confondre avec quelqu'un d'autre, un gars qui est sur vos traces... Mais bon, ce n'est pas moi. Tuez-moi tout de suite ça sera plus simple. Ou alors, mieux, laissez-moi partir, j'ai encore pas mal de route à faire pour rentrer… »

Je m'arrête parce que j'entends maintenant comme un petit rire dans toute la pièce. C'est humiliant. J'ai la langue levée pour dire que ce n'est pas drôle, que je dis la vérité, mais la voix recommence.

« Nous ne sommes pas des agents secrets, ni de ton pays ni d'un autre. Nous allons te ramener chez toi, là où nous t'avons trouvé. Tu peux te reposer tranquillement en attendant. Je veux te dire aussi que tu te sous-estimes, tu es capable de beaucoup de choses. »

Un petit silence et puis :

« Si tu as des questions, pose les, nous y répondrons. »

Alors là j'en reste coi. Ils sont gentils ces gars-là. Et maintenant je suis sérieux, je les crois. Peut-être cet habile passage par la flatterie...

Je pose les premières questions qui me passent par la tête, pris d'une sorte d'insouciance, comme un gamin.

« Combien êtes-vous à me regarder ? Me voyez-vous ?

- Je suis seul à m'occuper de toi maintenant. Je dis "nous" parce que je parle au nom de ma communauté. À travers moi, toute la communauté te regarde. Oui je te vois. Je suis content que tu aies moins peur, la peur endort l'esprit. »

C'est vrai qu'il répond, je ne comprends pas tout ce qu'il dit, mais il répond.

« Dans combien de temps pourrai-je partir ?

- Très peu de temps, nous te préviendrons.

- Merci. »

Je ne veux pas en savoir plus. Du moment qu'ils me ramènent sur la route, je me débrouillerai bien pour rentrer. Et il vaut mieux que je ne demande rien d'autre, on ne sait jamais, je pourrais les vexer, dire un truc qu'ils ne veulent pas entendre.

Je décide d'attendre patiemment de pouvoir sortir. Je me sens encore un peu fatigué, je m'allonge donc et ferme les yeux.

 

Je crois que je me suis à nouveau endormi. Je me réveille doucement, alors que la voix murmure dans la pièce.

« Johnny, nous sommes maintenant en mesure de te laisser sortir, si tu le souhaites… Johnny, réveille-toi, nous sommes en mesure de te laisser sortir… »

Je m'assieds sur le lit et constate qu'une petite porte est ouverte sur ma gauche, au bout du lit. Il n'y a personne, ce qui me semble plutôt bizarre.

Je me lève et me retrouve sur mes pieds pour la première fois depuis ma chute. Ça se passe bien.

« Je dois sortir par cette porte ?

- Oui, tu le peux.

- Vous ne voulez pas que je vous voie, hein ? Vous ne voulez pas que je puisse vous identifier. Très bien pour moi. Ça marche. Je ne veux pas avoir de problèmes !

- Il vaut mieux que tu ne nous voies pas. C'est mieux pour toi.

- Ah ! Je comprends, vous voulez dire que ça serait dangereux, qu'on pourrait essayer de me faire parler. Mais que cachez-vous donc ?

- Ce serait dangereux pour toi, sur le plan psychologique. Tu ne crains rien de toute façon, pour ta vie d'humain. »

Ce gars-là a tout de même des tournures de phrases bizarres. « Pour ta vie d'humain » quand même ! Alors que « pour ta vie » aurait largement suffi, ça se voit, que je suis un être humain. Une secte de doux allumés, je ne vois que ça.

« Tu peux encore poser des questions si tu veux, après il sera trop tard. »

Et il recommence avec ça. Mais je ne veux rien savoir moi. Foutez-moi la paix. Relâchez-moi dans la nature, de toute manière je n'ai plus rien à me faire piquer.

Alors que je commence à marcher vers la porte, je sens, et je me souviens, que mes pieds sont nus.

« J'ai une question… Je peux récupérer mes chaussures ? »

Silence.

Tiens, c'est bizarre, ça a l'air compliqué les chaussures. Peut-être ont-ils trouvé quelque chose planqué dedans. Pas planqué par moi en tout cas. J'attends la réponse avant de continuer à avancer, bien que le sol ne soit pas froid et que je puisse très bien marcher comme ça.

« Que veux-tu dire par "récupérer mes chaussures" ?

- Ben récupérer les chaussures que j'avais aux pieds avant de me retrouver ici. Des chaussures quoi ! Ici ça va, mais dehors je vais avoir du mal à rentrer chez moi pieds nus.

- Tu n'avais rien sur les pieds quand nous t'avons recueilli. »

Je n'insiste pas, je pense d'abord qu'elles ont dû rester accrochées aux rochers quand j'ai glissé, puis je me souviens de les avoir laissées dans l'herbe avant mon escalade.

Je passe la porte et trouve un couloir blanc bleuté qui file tout droit sur une dizaine de mètres puis tourne sur la gauche. Je le suis, je tourne à gauche.

Devant moi il y a comme une rampe qui repose sur le sol. L'herbe est verte sous les lumières de l'intérieur, mais il semble faire nuit dehors. La voix reprend, toujours d'on ne sait où.

« Au revoir Johnny. Nous sommes contents de t'avoir connu, et tristes de n'avoir pas pu parler avec toi plus longtemps. Mais, si tu le souhaites, il est probable que nous nous reverrons. Surveille le ciel, va dans le désert d'Atacama.

- Oui d'accord, je peux partir maintenant ?

- Oui, va. »

Je descends la rampe, m'attendant encore à un sale coup. Un peu moins confiant alors que j'approche de la libération.

Quand j'arrive sur l'herbe fraîche, qui me glace d'un coup les pieds, je me dis que le type qui m'a parlé est complètement taré. Il me parle comme à un enfant, sauf que ce qu'il dit n'a ni queue ni tête !

Je marche encore un peu sans me retourner. La lumière rayonne dans mon dos, prolonge mon ombre sur l'herbe plus verte que nature.

 

J'ai déjà avancé d'une dizaine de mètres quand j'entends la rampe se refermer dans un bruit étouffé. La lumière a disparu.

Je me retourne. Devant moi, il y a une masse noire. Tout autour, dans un grand cercle, des milliers de petites lumières semblent clignoter de manière totalement anarchique. À la circonférence, j'aperçois des pointes, des antennes qui ceinturent l'appareil. Je revois la tige à laquelle je m'étais accroché avant de tomber.

L'air se charge d'un petit sifflement et un second cercle lumineux apparaît, à l'intérieur du premier, plus bas aussi. Ça commence par trois points puis un cercle se forme, d'une lumière orangée. La couleur se diffuse lentement, comme si l'air lui-même devenait lumineux de proche en proche, comme si de minuscules éclairs le traversaient.

La lumière augmente, augmente, et se stabilise. Et subitement, avant que j'aie le temps de réaliser, d'inspirer une bouffée d'air, l'énorme engin est propulsé dans les airs, tout droit.

Les arbres alentour n'ont même pas frémi. Moi-même, je n'ai senti aucun souffle provoqué par l'aspiration de l'appareil. Et pourtant il est là-haut, un minuscule point lumineux qui s'élève encore. Il change de direction, puis file vers le sud, pas plus lumineux mais plus rapide qu'un satellite.

Une fois de plus je tombe. Sur mes fesses. Sans perte de connaissance cette fois, mais tout de même un peu. La tête qui tourne, légèrement. Comme une impression de grand vide, comme si un vent puissant, mais imaginaire, s'était levé sur la petite clairière pour venir me nettoyer.

Vous vous rendez compte qu'il n'y a pas cinq minutes, je discutais tranquillement avec un extraterrestre ? Je lui demandais s'il n'avait pas vu mes pompes. Vous vous rendez compte ?

Je m'allonge dans l'herbe mouillée, mais je ne ferme pas les yeux, je regarde les étoiles scintiller.