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Lire > Chapitre 15 :

15.

J'ai d'abord vu une étoile bouger, il me semble.

C'est parti du milieu du ciel, puis c'est descendu devant moi, très vite, et ça a disparu. Ce pourrait être un astéroïde assez gros, mais je m'attends à mieux…

En regardant immédiatement en bas, là où menait la trajectoire, il m'a semblé voir un éclat lumineux, comme un reflet de la lune qui se lève. Ce n'était pas très loin devant moi, bien qu'il soit difficile d'évaluer les distances dans un tel désert. Puis plus rien. L'éclat a été furtif, juste le temps de le voir.

Je me lève, je tends mon regard dans la direction, essaie de discerner l'indiscernable. Rien. Je regarde à nouveau le ciel. Tout est immobile.

À force d'attendre, et de fixer le ciel, je dois avoir des hallucinations. Je me rassieds et essaie de reposer mes yeux, je regarde autour de moi, dans le périmètre éclairé par la lampe-tempête.

 

Quelques minutes plus tard mon regard est à nouveau attiré dans la même direction. Je lève la tête subitement, je scrute. Rien. Et puis un éclat, deux. Rien. Un nouvel éclat isolé…

Il y a une lumière qui clignote d'une façon apparemment aléatoire, mais qui est tout de même régulière. Régulière dans le rythme. Ce doit être du morse, j'ai déjà vu ça dans des films.

Mais je ne connais pas le morse, alors si quelqu'un essaie de communiquer avec moi par ce moyen, il est mal parti.

Ça me laisse pensif, mais ça continue. Sans cesse.

Cette lumière clignotante peut provenir d'un humain en détresse qui aurait vu ma lampe-tempête d’assez loin. Dans ce cas, il serait de bon ton d'aller voir ce qu'il se passe.

Elle pourrait aussi provenir d'un gars en rendez-vous secret, par exemple pour un trafic de drogue. Dans cet autre cas, aller voir serait une très mauvaise idée, je serais plus avisé d'éteindre la lampe-tempête et de me carapater dans l'autre sens.

Et elle pourrait aussi provenir de je ne sais quoi, en rapport avec la lumière que j'ai vue descendre du ciel. Et, dans ce dernier cas, ça m'intéresse énormément.

Ça m'intéresse plus que tout, ça m'attire.

Submergé par une excitation qui devient vite immodérée, je n'ai d'autre choix que de me lever et d'aller voir la source de lumière, au mépris de tous les dangers, je ne sais pas exactement lesquels.

Pour la première fois de ma vie d'adulte, car dans l'enfance on est souvent audacieux, je sens battre en moi un authentique cœur d'Indiana Jones.

Je suis venu jusqu'au fin fond de ce désert pour voir des extraterrestres qui m'avaient donné rendez-vous, du moins je le suppose. J'y suis, je vois des lumières qui me font signe, pourrais-je les ignorer ? Non, il faut que j'aille voir, et si je tombe sur des trafiquants de drogue, tant pis pour eux, ils devront me tuer.

 

Je me pose encore une question à propos de la lampe-tempête, dois-je la laisser sur place allumée ? Ou la prendre avec moi ? Allumée ou éteinte ? C'est, là aussi, un problème épineux, et ça dépend beaucoup de ce que je peux trouver là-bas.

Au début je l'éteins pour la prendre avec moi, puis je me ravise, je veux la laisser là. Mais puisqu'elle est éteinte, je décide de la ranger dans le scooter. Par association d'idée, j'en viens à me dire qu'il faudrait aussi que je range le scooter. Comme il n'y a pas, dans un désert, de place spécialement indiquée pour garer un scooter, je choisis de seulement le pousser un peu plus à l'écart de la route, derrière un petit rocher. Ça ne le cachera qu'à moitié, mais c'est déjà mieux que rien.

Comme j'ai éteint la lampe-tempête et que je ne veux pas la rallumer, je n’y vois rien. La manœuvre du scooter est un peu compliquée, mais je ne m'en sors pas mal, comparé à d'autres expériences du genre.

 

Alors que je viens de finir mon rangement du désert, je remarque que la lumière clignotante ne clignote plus, et je suis surpris par un important sursaut d'une lumière différente. Ça éclaire beaucoup, mais ça n'éclaire qu'une fois.

Je m'arrête, écoute. Rien ne se passe.

Je n'ai aucune idée d'où peut venir cette lumière, ni de ce que ça signifie. Sauf que l'extinction de la lumière-morse, le brusque éclat qui a suivi, et mes propres actions sont visiblement corrélées dans le temps.

Ça peut être bon ou mauvais. Cependant je les connais mes extraterrestres, les lumières fortes ça leur ressemble. J'opte pour l'optimisme.

 

Alors que je m'approche, une autre lumière surgit. Elle n'est pas aussi forte que la précédente, rasante, elle éclaire la pauvre végétation du désert.

Je commence à ne plus trop m'inquiéter des jeux de lumière, et celle-ci tombe très bien pour moi : dans le noir, je n'étais plus très sûr de ma direction.

Je marche vers la source en essayant tout de même de rester à couvert, juste pour avoir l'occasion d'examiner la situation avant qu'on ne me voie.

 

Au début je commence à ne plus y croire.

Pourtant je le vois, là, devant moi. D'abord une partie seulement, entre deux rochers, puis l'ensemble de l'engin. Un genre de gros avion sans ailes, très légèrement profilé. Ce n'est pas le même, mais je reconnais les attributs du vaisseau que j'avais vu la première fois.

Je commence à ne plus y croire parce que c'est trop beau. Parce que, pendant tout ce temps, je me suis raccroché à l'idée que tout ça n'était qu'un délire. L'irréalité de la chose m'est toujours apparue comme une porte de sortie pratique, comme un moyen de revenir à une vie plus calme, comme avant.

C'est aussi un moyen de diminuer l'importance de mon voyage. En face de cet engin, je mesure le chemin que j'ai parcouru. Je suis venu ici, en suivant une indication donnée par un extraterrestre et quelques intuitions, quelques hasards. Je me rends compte que si un des événements qui se sont enchaînés n'avait pas eu lieu, je ne serais pas ici.

Je me demande pourquoi tout s'est déroulé au mieux, et comment j'ai fait pour y croire jusqu'ici, pour décider de partir aux antipodes sur un conseil aussi mystérieux.

 

La lumière rasante sort du bas de l'engin. Je le vois maintenant dans son ensemble. Une silhouette attend devant, près de la source lumineuse.

Je suis tétanisé.

Je ne pense pas qu'il m'ait vu, mais je reste tout de même dans l'ombre des rochers.

La silhouette semble seulement attendre, patiemment. Elle ne scrute pas particulièrement l'obscurité du désert. Je ne doute plus du tout que ce personnage soit un extraterrestre, le vaisseau, à lui seul, me permet d'écarter la thèse des trafiquants.

Si ce gars est ici, attend dans le désert, juste au moment où j'y suis aussi, s'il a fait des signaux de lumière il y a quelques minutes, puis s'est arrêté quand il a vu une réaction de ma part, je ne peux honnêtement plus douter qu'il soit venu pour me chercher.

Et pourtant je doute. Je suis transi par le doute, par l'incertitude. Est-ce que ce n'est pas trop d'honneur ? Que se passe-t-il au juste ?

Comment ces gens, ces extraterrestres, ont-ils pu se douter que je viendrais dans ce désert, précisément ici et maintenant ?

 

Outre que je n'avais jamais vraiment imaginé ce que pourrait être ma deuxième rencontre, les rares fois où j'y ai pensé, je la voyais similaire à la première : je tomberais par hasard sur des extraterrestres en train de faire quelque chose. Je n'avais pas pensé plus loin.

Dans la réalité, il semble que je sois attendu.

Je ne me reproche pas une seconde d'être tétanisé, parce que c'est tout de même tétanisant.

Ce que je m'apprête à faire est énorme. Si j'avance à découvert, je vais à la rencontre d'une civilisation extraterrestre. Si je rebrousse chemin pour rejoindre mon scooter, une ville, un bateau et ma piaule, je manque quelque chose de très fort, et je n'aurai jamais aucune réponse aux questions que je me pose.

Parce que je suis tout de même très curieux, et parce que je voudrais bien que Vania voie ça, je fais un pas de côté pour sortir de derrière mon rocher.

 

La lumière crue, rasante, illumine ma jambe gauche. Mais, à hauteur des yeux, je ne suis pas ébloui, je vois clairement le vaisseau.

Mon cœur bat certainement plus vite que jamais, même dans mes ébats les plus fougueux. Plus vite que dans n'importe laquelle de mes tentatives sportives, fort limitées j'en conviens.

Du cerveau reptilien, à la pointe de la colonne vertébrale, une voix me hurle de sauter à nouveau derrière le rocher, de fuir à toutes jambes.

Mais du sommet de mon crâne, une paix muette me fait rester. Une paix qui ne crie pas, qui ne me force pas, qui me dit seulement, doucement, que je suis exactement à ma place, que ma vie entière me destinait à arriver ici aujourd'hui. Pas seulement les événements récents, toute ma vie. Tout s'est enchaîné pour que j'en arrive là, pour que je croie à ce que j'ai vu.

 

Pour le moment je me contente de rester immobile dans la lumière. Il ne faut pas trop m'en demander. J'ai l'impression que le premier pas d'Armstrong sur la Lune n'est rien à côté de celui que je viens de faire.

Je suppose que la chose qui est devant moi va réagir à ma présence, et je préfère attendre sa réaction avant de faire un pas de plus.

La chose a tout l'air d'être un homme, bien que je ne sois pas très disposé à créditer cette thèse. Elle se tourne vers moi et, de façon totalement inattendue, malgré la gravité du moment, elle me sourit. Puis elle lève un bras pour me faire signe d'avancer. Et elle parle, la chose humaine parle.

« Êtes-vous Johnny Milou ? Venez, approchez, n'ayez aucune crainte. Nous avions rendez-vous n'est-ce pas ? Je suis content que vous ayez décidé de venir, ce n'était pas du tout certain. »

Je l'écoute, toujours immobile, les mots pénètrent dans un cerveau pratiquement vide, puis ils ressortent, parce qu'ils n'ont trouvé aucun endroit où se poser.

La voix est celle dont je me souviens, celle qui était dans la soucoupe, à la différence près qu'elle n'est plus amplifiée par un appareil, elle sort naturellement de la bouche de cet être, debout devant moi, marquant tous les signes de sympathie.

Il sourit toujours, calme, serein, pas du tout pressé. Si je reste immobile, je crois que lui aussi pourrait patienter, jusqu'au lever du soleil.

Pourquoi voit-on toujours les extraterrestres de nuit ?

De temps en temps il réitère son geste, pour m'inviter à approcher. Comme je sens qu'il n'y a rien d'autre à faire, je me décide à avancer.

 

En marchant, je scrute la silhouette… l'être… – je ne sais pas comment l'appeler. Il m'attend toujours, le sourire aux lèvres. J'essaie de voir si son apparence humaine n'est pas un leurre, si elle ne s'atténue pas quand on s'approche.

Ça a bien l'air humain, presque complètement. Les yeux sont en amande, la peau couleur sable, la bouche et le nez très fins, des oreilles moins torturées que les nôtres. Mais, hormis ces quelques différences, il a l'air totalement humain.

D'un autre côté, ces traits caractéristiques me sont absolument inconnus, on pourrait imaginer que cette personne est un humain vivant sur un continent inexploré, un atlante par exemple.

Quand j'arrive à deux mètres de l'être, une seule question, stupide, me brûle les lèvres.

« Vous êtes un extraterrestre n'est-ce pas ? »

Puis, instantanément, comme je comprends que c'est une question stupide :

« D'où venez-vous ? »

Je vois bien le vaisseau derrière lui, je vois bien que ce n'est pas un engin terrestre. S'il me répondait qu'il vient de la Terre, qu'il est d'une organisation quelconque, je ne le croirais pas.

Mais il sourit, ma question semble l'amuser et aussi ne pas l'étonner du tout, on dirait qu'il a l'habitude. Il donne l'impression d'être une star et moi un fan venu quémander un autographe.

« Oui, je suis bien extraterrestre, c'est moi qui t'ai parlé lors de notre première rencontre. Je ne crois pas qu'il soit utile de t'expliquer dès maintenant d'où je viens, contente-toi de savoir que je suis né sur une autre planète, sous une autre étoile. Maintenant que tu es là, je te propose de monter dans le vaisseau que tu vois derrière moi et de rejoindre une base plus importante située au-delà de l'orbite lunaire. Si tu es d'accord bien sûr. Nous avons coutume de ne jamais brusquer les êtres avec lesquels nous prenons contact. Es-tu d'accord pour venir avec moi, ou préfères-tu rester ici ? Si tel est le cas nous pouvons discuter à peu près une heure et nous verrons après, je te proposerai à nouveau de venir. »

 

Ce choix me semble irréel. Je ne devrais plus avoir de choix à faire maintenant, j'ai déjà choisi, tout à l'heure, de faire un pas dans la lumière. Je suis sur les rails, tout devrait se dérouler naturellement.

Bien sûr que je dois partir. Bien sûr, je suis venu pour ça…

J'aurais traversé l'Atlantique pour discuter une heure avec un gars ? Non, non. Pour, en plus, n'être jamais sûr qu'il soit extraterrestre… Non, non.

« Ben… Je préfère qu'on y aille tout de suite, de toute manière si j'attends, je déciderai la même chose… Mais une heure plus tard… Alors ce n'est pas la peine… »