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Lire > Chapitre 10 :

10.

Il est vraiment étonnant de voir comment, en matière d'extraterrestres, le vrai se mélange au faux.

Je suis dans le hall d'un modeste hôtel, à Antofagasta, Chili, en train de discuter pour obtenir une chambre. Ce n'est pas facile… Des chambres il y en a, ce n'est pas le problème, il suffit d'attendre. Le problème est que le gérant, assis là devant moi, me cuisine pour savoir ce que je viens faire ici.

Il me demande si je viens pour voir des extraterrestres, entre autres propositions ésotériques, avec un petit sourire en coin. C'est donc de notoriété publique. C'est un fait que pour moi, tout est parti d'un livre trouvé au hasard, quoique j'eusse déjà entendu le nom d'Atacama, et dans des circonstances peu banales…

Alors d'un côté, je le comprends, le gérant, il doit voir des allumés débouler à longueur d'année, lui poser des questions, le saouler avec leurs histoires d'extraterrestres. Je comprends, c'est tout le problème du tourisme, la masse. Il doit penser que tous ces gens viennent en pure perte, qu'ils ne trouveront jamais rien, et ça le fait marrer.

Mais d'un autre côté, je ne pense pas être un allumé, je viens là parce qu'un gars, que je tiens pour un extraterrestre, me l'a suggéré. Alors en fait, des extraterrestres, il y en a ou pas ?

C'est tout de même étrange que le gars m'ait dit de venir justement à un endroit où des tas de gens viennent voir des soucoupes volantes, et où des tas d'autres gens se foutent ouvertement de la gueule des premiers.

Et ce qui est fantastique avec ça, c'est que si j'avais raconté à quelqu'un ce que je viens faire ici, il aurait immédiatement pensé que je l'ai lu quelque part, donc personne n'aurait cru à mon histoire. Alors que si j'étais allé à Honfleur, là les gens m'auraient dit « Ah bon ? », parce qu'à Honfleur personne n'a jamais vu d'extraterrestre, et ça, tout le monde le sait… Quoique…

Heureusement je n'en ai pas beaucoup parlé, je suis essentiellement resté avec Vania.

Mon cœur se serre légèrement lorsque je pense qu'elle aussi doute peut-être de mon histoire. Elle s'imagine peut-être que je suis mythomane, et que ce voyage va me mettre face à la réalité. Je ne veux pas le croire, mais après tout, on ne peut jamais être sûr des pensées d'un autre, qui plus est d'une autre, on peut toujours avoir des surprises.

Je pousse un soupir qui pourrait être attribué à la chaleur et je raccroche sur le gérant qui n'en finit pas d'écrire un tas de choses sur un registre – il doit décrire scrupuleusement mon allure pour mettre autant de temps. Alors que je prépare un deuxième soupir, il lève enfin la tête vers moi, force un sourire, et me donne une petite clef noire, avec une minuscule plaquette attachée à un fil qui porte le numéro de ma chambre. Je laisse mon passeport, prends la clef, rends le sourire forcé, fournis un ultime effort pour arracher mon sac à la pesanteur, et tourne les talons.

 

Dans la chambre, sous la douche, je continue de penser à cette coïncidence. J'aurais pu la remarquer avant, certes. Mais avant je voyais ça comme un endroit connu de façon très confidentielle, je n'imaginais pas qu'il pût y avoir un folklore local des extraterrestres.

Maintenant que je connais la notoriété du lieu, je me dis que si quelqu'un, dans une soucoupe, avait voulu me faire croire qu'il était un extraterrestre, il m'aurait dit exactement ce que la voix m'a dit. D'un autre côté, il y a assez peu d'intérêt à raconter des conneries à un inconnu total.

Après la douche, rafraîchi, je m'assieds sur le lit pour faire le point. C'est très vite fait : je suis au Chili, en bordure du désert d'Atacama. Point. Je n'ai rien d'autre en vue.

Comme je ne vais pas rester planté là en attendant l'illumination, je décide d'aller faire un tour dans la ville pour trouver un plan de la région. On ne sait jamais, ça pourrait me donner des idées.

 

Deux heures plus tard, dans le début de soirée, je suis rentré dans un petit restaurant, plutôt une sorte de cantine, pour manger quelque chose et regarder la carte que je viens d'acheter.

J'attends un poulet à quelque chose et j'ai étalé la carte devant moi. Elle prend presque toute la table, si bien que, quand mon plat arrive, je dois la replier en désordre pour libérer la place.

Tout en mangeant, je repense à la géographie de la région. J'ai regardé tous les environs, chaque ville, village, salar, pic et rivière. Je n'ai rien vu d'extraordinaire.

Pour les villes j'ai retenu Calama, qui semble être assez importante, San Pedro de Atacama, dont le nom me plait bien, et Chuiquicamata, un peu plus haut dans les montagnes. Mais après avoir bien regardé, j'ai pensé qu'il est assez peu probable de rencontrer des extraterrestres près d'une ville, c'est trop voyant. D'ailleurs le lieu de ma première rencontre était plutôt désert, désert d'humain au moins.

Alors j'ai regardé la carte d'un peu plus loin pour voir les endroits où il n'y avait rien, pas de route, pas de rivière, pas de ville bien sûr. C'est assez difficile à trouver. Grosso modo il y a quand même deux trous vides qui se détachent : au sud, vers un coin nommé Sierra de Varas, et au nord, autour de La Posada.

Alors que je commande un café pour finir le repas, je me dis que tout ça est un peu léger. Mais je n'ai plus envie de m'esquinter les yeux sur la carte, j'ai l'impression de la connaître par cœur tellement je l'ai parcourue.

Ce restaurant est une pièce sombre, plutôt rouge. Il fait assez chaud, mais de grands ventilateurs bruns brassent l'air au-dessus des tables. Par la porte ouverte qui me fait face, on voit et on entend l'agitation de la ville. Je remarque un présentoir, à droite de la porte, sur lequel sont pendus une dizaine de journaux.

Je me lève et me dirige vers la sortie, je vois le patron du resto commencer à se bouger aussi, il croit que je vais partir en courant. Au dernier moment j'oblique vers les journaux et je le vois qui freine puis retourne à ses occupations.

J'en choisis deux au hasard, de toute manière je ne les connais pas, puis je repars d'un air dégagé vers ma table. En passant, je souris au patron pour lui signaler que je l'ai vu, mais que je n'ai pas l'intention de partir sans payer.

 

Le premier journal ne m'a laissé qu'une impression de vide, je n'y ai rien trouvé qui justifie le moindre intérêt. Comme je n'ai pas fini mon café, j'ouvre le second, "El Mercurio de Calama", et sur la troisième page je lis :

« Au moins trois objets ont été vus dans les premières heures de samedi matin au-dessus de la ville de San Pedro de Atacama. Les Carabineros ne font état d'aucun rapport ou information sur le sujet. Selon les versions présentées par les citadins, des lumières étranges ont été vues dans le ciel, qui était à ce moment-là plutôt clair. Ce qui a le plus étonné les témoins furent les mouvements étranges effectués par ces objets, qui n'étaient pas ceux d'un avion normal. Ceci a soulevé les soupçons, menant les témoins à croire à la présence d'ovnis au-dessus de cette ville paisible. La police n'a probablement rien enregistré parce que, comme les policiers le rappellent eux-mêmes, les événements de ce type sont communs à San Pedro, et une attention limitée leur est donnée, à moins que l'événement n'atteigne un niveau d'importance qui attire l'attention de l'ensemble des résidants. »

San Pedro de Atacama sera donc ma prochaine étape.

 

Ça ne m'enchante pas de reprendre le bus, j'ai mis presque une semaine entière pour descendre depuis Guayaquil, en Équateur. D'abord une première tranche, jusqu'à Lima, dans le même bus mais avec une escale à Trujillo. Après une nuit dans la gare routière de Lima, j'ai repris un bus pour Tacna, à la frontière du Chili, où j'ai pu passer la nuit dans un hôtel. Puis ce fut Iquique et enfin Antofagasta, cette même gare routière d'où je dois repartir pour Calama et San Pedro de Atacama.

Le voyage ne doit durer qu'une demi-journée, à peu près trois cents kilomètres. Mais j'en ai quand même marre de voir le paysage défiler sans jamais pouvoir m'arrêter.

Je ne sais pas pourquoi je fonce comme ça alors que je n'ai aucun but précis, aucun rendez-vous, rien qui presse en fait. Je dois être impatient de voir ce que je vais trouver. Mais si je ne trouve rien ? Vais-je continuer à courir dans tous les sens comme un chien qui découvre un nouveau jardin ?

Je me promets de faire une pause plus longue à San Pedro de Atacama, pour profiter un peu de la vie et du voyage. C'est tout de même la première fois que je pars aussi loin de chez moi.

En espérant que San Pedro sera une ville aussi agréable que son nom le présage, je monte dans le bus.