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Lire > Chapitre 19 :

19.

J'arrive devant la porte de chez Vania, un matin, à dix heures. Je ne sais pas si elle est là.

J'essaie d'avoir l'air détendu, mais je sens mon cœur battre à tout rompre.

J'entends ses pas qui approchent dans la salle et sa voix qui me demande gentiment de patienter.

Elle ouvre enfin la porte, et d'un coup elle est là devant moi, étonnée. J'adore cette fille.

Il n'y a plus de voyage, plus d'extraterrestres, plus de Léti. J'adore cette fille.

Elle est tout pour moi, ça fait longtemps qu'elle est tout, mais je l'avais un peu oublié quand j'étais loin. Elle sourit maintenant, parce que je ne bouge toujours pas. Elle me prend la main, j'adore cette fille.

Alors je résiste un peu, et, doucement, c'est moi qui l'attire de mon côté, je la fais approcher tout contre moi, je l'enlace, puis je la regarde. Puis je l'embrasse pour la première fois.

« Eh bien Johnny… Tu es content de me voir, apparemment… Ça me fait plaisir… »

J'adore cette fille.

Je ne lui ai pas tout de suite parlé du voyage, je l'ai regardée, je l'ai embrassée, je l'ai étendue sur le lit, et j'ai continué de l'embrasser.

 

Un peu plus tard, je lui ai décrit le voyage, avec toutes les péripéties. Nous avons fait cuire des œufs, puis nous avons mangé, pendant que je racontais.

Comme nous venons de finir, à la fois les œufs et mon exposé, j'ai une envie mortelle de la faire retomber sur son lit et de continuer les bisous. Mais je me retiens, il y a encore quelques trucs dans l'air dont nous n'avons pas parlé.

Vania réfléchit à ce que je lui ai raconté, elle semble hésitante, elle me regarde à la dérobée.

Finalement elle se lance.

« Dis-moi, Johnny, bien en face… C'est vrai ce que tu me racontes ? Tu n'es pas en train de te payer ma tête ?

- Oui, bien sûr, c'est vrai…

- Non, mais je veux dire, tu n'inventes pas tout ça pour ne pas rentrer bredouille, pour ne pas me dire qu'il ne s'est rien passé ?

- Non, je te le jure. Tout ce que je te dis est la vérité, ce que je tiens pour la vérité… J'ai fait ce voyage…

- Pfff… Pour tout te dire, je crois que je n'y ai jamais cru… Et là, j'ai encore du mal…

- Comment ça, tu n'y as jamais cru ?

- Ben oui… Ce n'est pas pour te blesser Johnny, je crois que je ne m’étais tout simplement pas encore posé la question sérieusement… Je te croyais sincère, ça oui… Mais je n'ai jamais cru que ce que tu racontais était la vérité… Je te suivais parce que, toi, tu semblais profondément y croire… J'ai toujours pensé qu'il fallait aller au bout de ses rêves… Mais je m'imaginais que tu ferais le voyage et que ça te ferait revenir à la réalité…

- Tu veux dire que, au fond, tu ne m'as jamais fais confiance ! Que tu m'as écouté comme ça, en te disant que je débloquais à fond !

- Non, Johnny ! Ce n'est pas ça… Je te promets... »

Elle est presque en larmes, et moi je ne vaux pas mieux. Je suis toujours sûr de ce que j'ai vécu, mais mon monde s'écroule tout de même un peu, du moment qu'elle ne me croit pas.

Un instant je sens la colère monter, j'ai envie de partir. L'imaginer porter un regard cynique sur mon état mental me touche profondément.

Mais je me ressaisis. Vania, je l'aime assez pour essayer de comprendre ce qui lui passe par la tête. J'espère qu'elle, de son côté, m'aimera assez pour me faire confiance à partir de maintenant.

« D'accord. D'un côté, je te comprends… Moi-même, quand je suis parti, je n'étais pas sûr de ce que j'avais vécu... Mais maintenant il faut que tu me croies, Vania… Parce que je sais que c'est vrai, et, du coup, que ma première rencontre aussi était vraie… Maintenant il n'y a plus de doute…

- Tu en es sûr ?

- Oui, j'en suis sûr… Si j'ai tout rêvé, autant dire que je rêve depuis très longtemps, que toi-même et cet instant que nous vivons, je suis en train de les rêver. Tu comprends ? Il n'y a pas de coupure. La première fois, je m'étais réveillé dans la clairière, j'étais un peu dans les vapes, j'aurais très bien pu rêver. Mais là, je suis parti direct avec mon scooter en sortant du vaisseau, je n'ai pas dormi, et puis je suis parti tout aussi direct pour Iquique. Alors, où aurais-je pu dormir ? Où aurais-je pu rêver ?

- Ne t'énerve pas… Oui, si tu veux, je te crois… Mais admets tout de même que c'est difficile...

- Non je n'admets rien… Pourquoi serait-ce difficile à croire ?

- Euh… Je ne sais pas… Mais tu sais, les extraterrestres, on dit tout et n'importe quoi dessus… Depuis un demi-siècle… Alors…

- Ouais, c'est ça… Parce qu'il y a des gros malins qui ont sorti des films à la con, on ne croit plus personne…

- Oui, mais il n'y a pas que ça, Johnny. Regarde, il y a partout des gourous qui disent avoir vu des extraterrestres, qui fanatisent leurs disciples. Tu veux que je les croie, eux aussi ?

- Écoute-moi, à ton tour... Je ne suis pas un gourou. Je suis ton ami, même un peu ton amant depuis ce matin, alors je ne te fanatise pas, je te raconte juste ce qui m'est arrivé… Parce que j'ai besoin de ton aide… »

Elle est très attendrie. Elle me regarde avec des yeux que je ne lui avais jamais vus, avec dedans comme un souffle, un abandon, et beaucoup de tendresse.

« D'accord Johnny, je suis avec toi…

- Ben je préfère ça, dis-je, en posant un bisou sur son front.

- Oui, mais il va quand même falloir que tu me convainques.

- Comment ça ? T'es pas convaincue, là ?

- Écoute, je veux bien te croire, mais il faut que j'y croie moi aussi un peu… Et il y a du chemin à faire… Dis-toi que c'est un entraînement pour convaincre d'autres personnes…

- Ouais, ok, vas-y… J'attends tes questions…

- Euh… Quelles questions ?

- Ben tes questions… Moi je t'ai déjà raconté mon voyage, que veux-tu que je te dise de plus ? S'il y a des trucs qui ne te semblent pas clairs, vas-y, dis-le, j'essaierai de te répondre… »

Elle réfléchit, les yeux en l'air, de droite à gauche. Elle tourne le doigt comme pour faire dérouler mon récit devant elle. Puis son regard s'illumine, elle a trouvé une question.

 « La première chose, je crois, mais elle est d'importance, c'est que je ne vois pas très bien comment vous avez fait pour vous retrouver…

- Comment ça ?

- Eh bien, avec Hermès ! Il t'avait donné rendez-vous dans le désert d'Atacama, et d'après ce que tu me dis, c'est grand le désert d'Atacama. Alors, sans lieu précis et sans date, comment avez-vous fait pour vous retrouver ?

- Il n'y a pas de mystère, dis-je en souriant. Moi aussi, quand j'ai réalisé que le désert était très vaste, j'ai pensé que c'était impossible… Mais je ne savais pas encore… Hermès m'a tout expliqué.

- Quoi ?

- Ben en fait, quand ils m'ont enlevé la première fois, ils ont implanté un capteur dans ma jambe gauche…

- Mais c'est horrible ! »

Avec Vania, il y a des choses qu'il vaudrait mieux taire. Ça la fait partir au quart de tour, je le savais, mais rien ne peut m'arrêter quand je dis la vérité.

« Non… Pas tant que ça…

- Et pourquoi auraient-ils fait ça ?

- Ben, d'après ce qu'il m'a dit, ils s'en sont servis pour me localiser… Ils ont suivi tout mon voyage…

- Et tu ne trouves pas ça méprisant, odieux même ?

- Oui et non… Nous, on peut prendre ça pour du mépris parce que c'est ce que nous faisons aux animaux…

- Oui, exactement… Ça veut dire qu'ils nous traitent comme des animaux, tes extraterrestres… S'ils existent…

- Mais il faut bien comprendre que pour eux nous ne sommes pas très loin des animaux… Enfin nous sommes des humains, mais tout juste sortis de l'animalité… Et ils nous étudient, ils sont extérieurs à nous, même s'ils nous considèrent comme des humains, ils nous voient aussi comme un sujet d'étude… En plus, leurs implants, je leur fais confiance pour qu'ils ne soient pas dangereux…

- Oui, mais quand même…

- Et puis il m'a dit ça naturellement, ça n'avait pas l'air choquant… D'ailleurs il a aussi dit que lui-même avait plusieurs capteurs dans le corps… Enfin peu importe, ils ont mis un capteur dans ma jambe et savaient donc où je me trouvais. Après ils ont juste attendu que je sois seul dans un endroit désert…

- Et pourquoi, toi, es-tu allé là-bas, précisément dans ce coin ?

- Je crois que le principal était que je sois dans un lieu discret. Ils seraient venus me prendre n'importe où… Du moment qu'ils ne risquaient pas d'être vus.

- Oui, mais pourquoi as-tu été précisément là ? Tu l'as bien décidé à un moment…

- Non, en fait… C'est un passage que je ne t'ai pas encore raconté, j'avais presque oublié… C'est un gars que j'ai rencontré par hasard dans le désert, Carlos, il m'a conseillé cet endroit, le nord de Tocopilla… D'ailleurs, en y repensant, je me demande s'il n'était pas en cheville avec Hermès… Sur le coup, j'avais vraiment l'impression qu'il était là pour me dire quelque chose…

- Donc tout était organisé… Ils sont venus exprès pour te chercher, ils t'ont suivi depuis votre première rencontre… Mais tu te rends compte de ce que tu dis, Johnny ? Pourquoi est-ce qu'ils auraient fait tout ça pour toi ?

- Mais ils n'ont rien fait pour moi… Ça fait partie de leur étude. Ils analysent le comportement des humains de la Terre, pour voir s'ils peuvent nous parler… En gros…

- Oui, mais, sans vouloir te vexer, tu n'es rien sur terre, tu es un péquin quelconque. Tu ne crois pas qu'ils auraient préféré rencontrer le fils naturel d'Einstein ?

- Je crois qu'ils m'ont trouvé par hasard, parce que je suis tombé sur eux… D'après ce que j'ai compris, ils ne raisonnent pas tellement en termes d'importance. Ils savent que nous considérons certaines personnes comme importantes, mais pour eux ces personnes n'ont pas forcément d'intérêt… Ils s'intéressent plus à la masse, à tout le monde, et au schéma psychologique global. De ce point de vue, j'avais au moins l'avantage de croire en leur existence… Hermès m'a dit qu'il "appréciait que je sois capable d'appréhender le concept d'une humanité galactique"…

- Une humanité galactique ?

- Oui, parce qu'en fait c'est ça, le fond de ce qu'il m'a dit. Il y a des humains partout.

- Des humains ?

- Oui, des humains, au sens large.

- Mais nous sommes les humains !

- Oui, nous nous définissons comme humains par rapport aux animaux, parce que quelque chose nous sépare d'eux, même si on n'a pas encore trouvé quoi… Le mot recouvre un concept, le concept d'humanité. Je te répète presque exactement ce qu'Hermès m'a dit…

- Oui, j'avais compris… Tu ne parles pas avec ces mots-là d'habitude…

- Certes… Enfin bon… Le concept d'humanité est le même pour eux, c'est pour ça qu'ils peuvent utiliser le mot "humain" dans un sens plus large... Donc, avec nos mots, ils se décrivent comme humains, et Hermès disait que la galaxie entière est peuplée d'humains.

- Mais c'est absurde… Pourquoi seraient-ils humains ?

- C'est peut-être qu'ils ne le soient pas qui serait absurde… D'ailleurs Hermès ressemble bien à un humain d'ici…

- Et tu ne trouves pas ça étrange ? Ça ne te fait pas douter ? Je ne sais pas moi… Ça pourrait être n'importe qui !

- Si, ça m'a étonné, puisque je lui ai aussi posé la question… C'est marrant, la plupart du temps je connais les réponses à tes questions parce que je les ai moi-même posées à Hermès…

- Et alors ? Que t'a-t-il répondu ?

- Ben pour tout te dire, je n'ai pas bien compris… En résumé, il m'a dit que la forme physique de l'humain est liée à son développement mental et spirituel. Pour lui, il n'est pas possible qu'un être évolue vers une forme de vie intelligente s'il n'a pas une morphologie proche de la nôtre. Et il a aussi parlé d'un lien avec l'âme, mais là je n'y ai rien compris…

- Mais, déjà sur la Terre, il y a de grosses différences…

- Oui, bien sûr, il y a des différences. Hermès pourrait tout à fait être terrien, asiatique peut-être… Mais il m'a dit qu'il y a des "humains" assez différents… Bien qu'ils aient tous des jambes, des bras, des mains, une tête et des yeux…

- Oui, pourquoi pas… »

Elle réfléchit un peu, je la regarde en silence.

« Tu as bien préparé ton coup… Tu es incollable…

- Je n'ai rien préparé du tout. Je te répète seulement ce que m'a dit Hermès… C'est lui qui était incollable !

- Si tu veux…

- Vania, ce n'est pas si je veux, c'est comme ça… Tu ne commences pas à me croire un peu ?

- Si… Si… Tu es assez convaincant… Mais tiens, j'ai encore un truc qui me trotte dans la tête… Pourquoi t'ont-ils enlevé, la première fois ?

- Ah ! Je lui ai demandé aussi… Parce qu'il est vrai que c'est peut-être le plus étonnant… Ils auraient très bien pu me laisser là et se barrer en douce…

- Oui, c'était le plus simple…

- Effectivement, mais je serais probablement mort s'ils l'avaient fait, parce que, toujours d'après ce que m'a dit Hermès, je m'étais salement amoché en tombant…

- Ah bon ? Mais tu n'avais rien…

- Ben justement… Je n'avais rien quand nous nous sommes rencontrés parce qu'ils m'ont soigné !

- Et c'est pour ça qu'ils t'ont emmené, juste pour te soigner… Pour des gars qui posent des implants, ils sont sympas…

- Oui, ils sont sympas… Ils sont humanistes, ils ne voulaient pas causer la mort d'un être humain, dans la mesure où ils pouvaient l'éviter. Et puis il y avait une autre raison, moins humaniste, encore que…

- Oui ?

- C'est que je les avais vus, j'avais vu une base souterraine et j'aurais pu avertir d'autres personnes…

- Et alors ?

- Et alors ils ne pouvaient pas prendre le risque qu'une base soit découverte parce que, avec ce qu'il y a dedans, ça aurait foutu le bordel au niveau de l'armée… Donc ils ont préféré m'emmener, me soigner, et supprimer leur base.

- Tu leur as donné du boulot !

- Oui… Ça, oui…

- D'accord, je suis presque convaincue… Enfin… De ce que toi tu racontes… Pour le fait que des extraterrestres existent vraiment je demande à voir…

- Mais comment peux-tu douter ? Si tu crois ce que je te raconte… Si tu crois que j'ai bien vécu tout ça…

- Je ne sais pas Johnny… Je te l'ai dit, c'est tout de même dur à avaler… Et même si tu as rencontré des gens, reste à prouver que ce sont bien des extraterrestres…

- Oui, si on veut… Enfin, vu le tour de manège qu'ils m'ont fait faire, je me demande bien qui d'autre ils pourraient être… »

 

Nous avons discuté pendant des heures, et ça fait des heures que je me retiens de l'embrasser. Alors je me lâche.

Dans un éclair de lucidité, je me rends compte que j'ai totalement oublié de lui parler du transmetteur. J'essaie de m'écarter d'elle, de reprendre un peu d'air pour lui en toucher un mot, mais elle se blottit contre moi et je n'ai pas le courage de rompre le charme.

Je me promets que, dès que nous sortirons de ce moment tendre, le plus tard possible, je lui montrerai l'appareil.