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Lettres ummites
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Lire > Chapitre 16 :

16.

Sous mes yeux, l'univers s'étale en une myriade d'étoiles. Des myriades, des centaines de milliers de myriades, plus que je n'aurais jamais pensé.

Elles me semblent tellement proches que je voudrais les toucher, les faire voler comme des poussières dans le soleil. Mais elles sont fixes, immobiles, absolues. Pas une ne scintille, elles me regardent toutes de leur œil unique et froid.

Il y en a tellement que le ciel ne semble pas vraiment noir, il éclaire. La voie lactée, qui sur terre semble effectivement laiteuse, est étincelante vue d'ici. Elle apparaît comme une écharpe blanche, immobile, étalée sur la voûte céleste, un voile de taffetas piqué de diamants, d'émeraudes et de rubis.

Mais ce n'est pas tout. On se rend aussi mieux compte de la profondeur. Il y a les étoiles proches, très lumineuses, puis d'autres un peu plus lointaines, et si on regarde bien, on en voit encore plein, entre les premières, plus faibles, toujours plus lointaines.

J'ai l'impression que mon regard fouille l'univers, j'ai l'impression de lui faire face. Je me lève devant la vitre, j'écarte les bras pour que chacune de mes cellules s'emplisse de la lumière stellaire et intersidérale, comme s'il s'agissait d'une eau pure, issue d'une multitude de sources.

 

Cet univers est vivant. Il est face à moi, disponible, attirant.

Maintenant je sais qu'il y a des êtres qui vivent là-bas, en plein d'endroits, sur une bonne partie des étoiles visibles. Et je sais aussi qu'il y a pas mal de gens qui peuvent regarder ces étoiles et se dire : « Tiens, je suis allé là… Et là… ».

Hermès m'a dit que la galaxie entière est peuplée. Il m'a dit qu'il était une sorte d'ingénieur en psychologie, venu étudier les peuples de la Terre.

Vous rendez-vous compte ? Il était sur une autre planète, il a fait des études, puis il a travaillé et il est venu jusque chez nous pour étudier comment nous nous comportons les uns avec les autres. Et il n'est pas le seul… Et il n'est pas le premier…

Je n'en avais pas conscience auparavant, mais la galaxie est sans cesse traversée par des voyageurs galactiques, y compris notre système solaire. Ils viennent pour étudier, mais aussi pour se balader, en vacances, comme nous irions à la plage.

Il y a cent mille ans, sur terre, des voyageurs d'autres mondes venaient déjà faire des safaris. Il faut se rendre compte…

 

Les paroles d'Hermès résonnent encore dans ma tête.

« Quand vous pensiez que la Terre était au centre de l'univers, cela vous grandissait. Située au centre, elle est forcément unique, tournant autour du soleil, elle peut avoir une semblable. Déjà, pour admettre que la Terre tourne autour du Soleil, il fallait admettre la possibilité d'autres mondes.

Aujourd'hui, le pas à faire est du même ordre. L'humanité terrestre doit admettre que l'apparition de la vie et son développement jusqu'à une forme humaine, sont banals, normaux. Il s'agit d'une évolution classique, inscrite dans la trame de l'univers. Il faut admettre qu'il y a d'autres mondes, inconnus pour vous, et dont certains sont beaucoup plus évolués que le vôtre. »

J'admets… Oui, j'admets... En voyant ça, en voyant ce spectacle, en étant ici, oui j'admets bien volontiers...

 

Quand je pense à Hermès, je ne sais plus comment le qualifier. Un extraterrestre ? Ce gars qui ressemble tant à un humain, qui rit, qui blague avec moi ? Non, ce serait trop distant. Il est une personne, un gars, un type.

Un être humain ? Non, je ne peux pas dire ça, pour moi l'humain est issu de la Terre. Je me promets de lui poser la question plus tard.

D'ailleurs est-il masculin ou féminin, le genre a-t-il lieu d'être chez eux ?

 

Tout à l'heure, quand le vaisseau a décollé, on ne voyait rien. Mais ça s'est vite arrangé, le temps de quitter l'atmosphère paraît-il. La cabine s'est alors ouverte et l'on a pu voir l'univers autour de nous.

Pour Hermès il n'y avait rien d'exceptionnel, mais il me regardait avec intérêt, il guettait ma réaction.

Et il n'a pas été déçu, j'étais comme un môme qui voit son premier feu d'artifice, fasciné.

Quand le vaisseau a obliqué et que la Terre s'est élevée devant la fenêtre, ça a été pire. Rien au monde, rien à l'univers, n'aurait pu décrocher mon regard de ma planète.

 « La Terre est votre planète, votre vaisseau au sein de la galaxie. Vous devez en prendre soin. Essayez de prendre conscience que, tout en restant des individus, vous faites aussi partie d'une humanité, un être global intimement lié à la planète elle-même. »

Il avait dit cela en me voyant ébahi par le spectacle, il semblait être très au fait de mes pensées.

 

Assis là, devant les étoiles, je me demande quand je vais revoir la Terre. L'attente commence à me paraître longue, malgré le fascinant spectacle qui s'offre à mes yeux gourmands.

Tout à l'heure, quand j'ai vu la Terre, bleue, majestueuse, s'élever devant mes yeux, j'ai réalisé qu'elle était petite. Je l'ai vue en entier, pour la première fois, comme une boule. Une petite boule bleue, limitée dans l'espace, fragile.

D'ici, je me suis rendu compte que je ne peux pas vivre sans cette planète.

Je la regardais, et je voyais de l'air à respirer, des cultures à manger, de l'eau à boire, des gens avec qui discuter, des gens à aimer…

Je me suis senti complètement relié à cette planète, par un lien vital, un cordon ombilical qui m'apporte de quoi vivre.

 

Pendant le trajet, je n'ai pas pensé à demander où nous allions. Je m'en suis rendu compte par moi-même quand j'ai vu la lune grossir dans le hublot, et je me suis souvenu qu'Hermès me l'avait dit alors que nous étions encore au sol.

Nous avons fait le tour de l'astre, assez bas, ce qui m'a donné à voir un autre spectacle inédit. Je soupçonne Hermès d'avoir prémédité ces éblouissements successifs.

Dans la pénombre de la face cachée, j'ai vu se profiler un autre vaisseau, beaucoup plus grand que celui dans lequel nous arrivions.

Mais cette scène-là ne m'a pas excessivement impressionné, je l'avais déjà vue de multiples fois dans les films de science-fiction.

 

Hermès ne m'a pas fait visiter le vaisseau et ne m'a pas fait rencontrer d'autres personnes. Il m'a amené dans cette petite pièce vitrée d'où on voit les étoiles et nous avons discuté.

Comme lors de notre première rencontre, il m'a proposé de lui poser des questions. Il a répondu à toutes, patiemment, et en détails.

J'en retiens la certitude que des civilisations entières peuplent la galaxie, et que, sur terre, nous avons été de réels abrutis de ne pas le comprendre.

Enfin non, "abrutis" est peut-être un peu fort. Aveugles, ne voulant pas croire à l'évidence parce qu'elle est gênante pour nous. Tout comme nos ancêtres ont d'abord refusé de croire que la Terre tourne autour du Soleil, pour l'admettre ensuite.

Hermès l'a bien souligné, « la science se heurte toujours aux dogmes, aux structures ancestrales de pensée ».

 

Puis il est parti, il m'a expliqué qu'il avait du travail et ne pouvait pas s'occuper de moi jusqu'à ce qu'ils me redéposent sur terre, au milieu de la nuit suivante. Ils ne peuvent pas me ramener de jour.

J'avais encore beaucoup de questions à poser parce que chacune de ses réponses en soulevait une dizaine de nouvelles. Il a promis de revenir au moins une heure terrestre avant le départ pour que nous puissions encore discuter, tarir un peu le flot de questions.

La pièce était dotée d'un canapé suffisamment confortable, et Hermès m'avait amené un grand saladier rempli de fruits frais, excellents.

Je lui ai demandé ce que ces fruits faisaient là, et il m'a rapidement répondu qu'ils provenaient de cultures faites sur le vaisseau lui-même, à partir d'échantillons prélevés sur terre.

J'ai donc pu dormir et, au réveil, j'ai dévoré les fruits.

 

Depuis, je n'arrête pas de regarder les étoiles, je rêvasse. Comme il n'y a pas d'horloge et que j'ai dormi, je n'ai aucune idée du temps écoulé.

J'imagine que mon horloge est l'univers. Ça tourne, ça vrombit, dans un mouvement inexorable. Ça explose, ça implose, ça s'attire et se repousse. Et ça rayonne, de partout.

 

Je ne reverrai la Terre que tout à l'heure, quand je devrai partir d'ici pour retourner dans mon monde. Ai-je envie de partir ? Pourrais-je rester ? Hermès n'en a pas parlé, il n'a même pas évoqué la question, mon départ lui semble évident.

J'ai trop vu, trop entendu de choses pour trouver des arguments, pour me trouver une bonne raison de rester. Je dois d'abord faire le tri, tirer les conclusions.

D'un autre côté j'ai peur que tout ça, tout ce que j'ai vu, s'efface quand je me retrouverai sur terre. J'ai peur que ça s'atténue, comme un rêve, que je ne puisse plus être sûr de l'avoir vécu.

 

Mais, sur Terre, il y a aussi Vania, je dois lui raconter mon voyage. Et tous les autres aussi, je dois leur dire.